r e v i e w s

GENERATOR

par Patrice Joly

Voilà l’été à l’EESAB site de Quimper 

Expérimentation GENERATOR 2014-2022

09.07 – 20.08.22

Réaliser une exposition sur l’ancien site du Quartier de Quimper, que l’école des beaux-arts occupe désormais, convoque de nombreux fantômes que ceux qui ont connu et pratiqué ce centre d’art historique du sud-Bretagne doivent certainement voir défiler devant leurs yeux. Le Quartier, centre d’art contemporain, a en effet connu une riche époque avec des curatrices comme Dominique Abensour ou Keren Detton, qui l’ont porté à une reconnaissance nationale et internationale, comme un des tous premiers lieux de la création contemporaine en France. Le premier « lâchage » du centre par la municipalité a lieu en 2013, avec une baisse significative des crédits alloués, suivi d’un retrait complet en 2016, créant de fait une cascade de désengagements de la part de la DRAC et de la Région Bretagne, compte tenu de la quasi-impossibilité pour ces dernières de maintenir leur apport dans de telles conditions. Avant cela, le centre d’art était un des mieux dotés de tous les centres d’art de province. Six années plus tard, alors que les projets des précédents élus n’ont eu pour effet que de faire fermer un lieu largement soutenu par les collectivités évoquées plus haut et de créer un vide en termes de lieux de diffusion de l’art contemporain en sud-Bretagne, la situation de l’ancien Quartier reste à nouveau suspendue à la décision des élus quimpérois. 

Dans le même temps, du côté des étudiants, un besoin pressant en matière d’espace se fait sentir – les locaux de l’école étant trop exigus pour accueillir les expérimentations de futurs artistes, qui ont absolument besoin d’espace pour y déployer leurs recherches formelles. Dans l’attente d’une nouvelle orientation du lieu, ces derniers exploitent donc les locaux de l’ancien centre d’art dans le cadre de leurs études. Si la question de son devenir semble pour le moment sans réponse (rappelons, au passage, que la nouvelle directrice a été recrutée en 2016 pour créer une « nouvelle synergie » avec le centre d’art avec un projet de « Quartier général de l’école »…), celle de ses espaces en revanche, promus à un projet de maison d’accueil à destination des jeunes dont on ignore la teneur exacte, semble laisser de côté la question des ateliers des étudiants. Au-delà de l’exemple quimpérois, c’est la question du devenir des centres d’art en France qui est posée, lorsque certaines municipalités ne semblent pas mesurer l’importance de tels équipements pour l’image et le rayonnement d’une ville, de même que leur importance en tant que facteur de structuration artistique, intellectuelle et pourquoi pas économique. A contrario, un nombre grandissant de municipalités, conscientes du magnétisme que peut exercer un centre d’art avec une programmation de premier plan comme l’était celle du Quartier, misent de plus en plus sur ces derniers. Pour abonder dans le sens du tropisme touristique qui préoccupe légitimement les municipalités, on ne voit pas en quoi les centres d’art ne participeraient pas de l’attractivité recherchée. Ceux-ci visent un « autre » public, peut-être plus exigeant en matière d’offre culturelle mais pas forcément moins intéressant en termes de pouvoir d’achat si l’on s’en réfère aux catégories socio-professionnelles qui fréquentent les centres d’art…

Vue de l’exposition « Voilà l’été! », Photo Margot Montigny

« Voilà l’été »est une exposition anniversaire, qui « fête » les huit ans du programme de résidence d’artistes et de curateurs initié par l’association 40mcube de Rennes, centre d’art labellisé en 2019. Cette exposition ne consiste pas pour autant en la juxtaposition de stands individuels telle que le proposent des salons comme Montrouge ou Jeune Création, qui partagent avec GENERATOR les mêmes questionnements concernant la visibilité et l’émergence des jeunes artistes. « Voilà l’été » est une « vraie » exposition, qui offre des espaces et des modalités parfaitement singularisés en fonction des propositions de ces jeunes artistes. Pour exemple : les curateurs – qui ne sont autres que la directrice de l’école et les responsables de la résidence – n’ont pas hésité à dédier une salle entière, parmi les six qui forment l’ancien Quartier, aux deux projections de Léa Pottier et de Lauren Tortil, quand bien même trente-et-un individus composent la liste des artistes. Dans ce type de proposition, l’espace attribué est fondamental qui nécessite, si l’on veut sortir de l’hypothèse du salon, de négocier des différences de traitement. L’on sait pertinemment que la prise de position scénographique est fondamentale qui risque de privilégier une œuvre plutôt qu’une autre, il apparaît ici que, malgré leur nombre, celles-ci ne se « gênent » pas : les sculptures cohabitent sans problème avec les peintures, et les installations avec les vidéos. 

En revanche, il est difficile de discerner une écriture curatoriale marquée. On assiste plutôt à la mise en place d’un paysage artistique qui reflète les préoccupations formelles d’une génération attirée par des questions de science-fiction ou de science tout court (Lauren Tortil, Chantal Dalia), d’archivage (Tortil, encore), de genre (Anthédomos), de littérature (Aude Anquetil) ou encore de « nature » (Morgan Azaroff). Mais il est toujours un peu réducteur de vouloir ranger des travaux dans des catégories préétablies. Ceux présentés dans l’exposition résistent justement à toute catégorisation et la plupart obéissent plutôt à des logiques de contamination ou de dispersion des thématiques. On pourrait vouloir classer le travail de Jean-Julien Ney dans la case technologie, par exemple, mais ne s’agit-il pas plutôt d’une revisitation de problématiques d’interprétation ? Le travail englobant de Makiko Furuichi appartient-il à l’ordre de la scénographie « élargie » ou à celui de la tradition de la fresque ? Celui de Léo Fourdrinier est-il un manifeste féministe ou une caricature des théories complotistes ? Les travaux d’Hillary Galbreaith, du duo Ferruel et Guédon, d’Inès Dobelle s’appréhendent mieux lorsqu’ils sont activés, mais la performance n’est-elle pas le prétexte à sublimer un travail sculptural qui prend toute son ampleur dans le geste performatif ? Une chose est sûre, c’est que cette jeune génération présentée dans l’exposition « Voilà l’été » prend un malin plaisir à déjouer toute tentation hâtive de classification.

Image mise en avant : Vue de l’exposition « Voilà l’été! », Photo Margot Montigny