r e v i e w s

Formes Féminines à Triangle

par Celine Chazalviel

Affirmative Action

Un titre on ne peut plus explicite – Les Formes Féminines -, une liste de seize artistes, seize femmes et pour carton d’invitation, une photographie de trois empilements de formes laquées, colorées ou dorées, digne d’une vraie batterie de salle de bain : poudrier, flacon de parfum et autre fard à paupières; le projet est dessiné à gros traits, un brin racoleur.

L’idée de réunir des femmes artistes s’avance-t-elle ici comme un sujet d’exposition ? Cela ne constitue pas une problématique et l’affirmer serait tendre le bâton pour se faire battre. Heureusement, il n’en est rien. Aucune volonté de proposer des artistes dont les pratiques seraient représentatives d’une manière ou encore une inscription dans un héritage ou des revendications féministes. Ce qui est soulevé avec la question du point de vue féminin renvoie avant tout à une volonté de désamorcer quelques stéréotypes au long court.

Kristina Baein, Delphine Coindet, Jenny Holzer

Kristina Bræin, Delphine Coindet, Jenny Holzer

S’il est question de formes c’est, pour commencer, dans le champ de la construction. Séverine Hubard abolit la frontière entre espace privé et espace public en proposant d’entrer dans l’exposition par son atelier. Le travail en train de se faire retentit dans une vidéo de Monica Bonvicini où un bras, que l’on devine féminin, tape dans un mur à coup de masse. Le mur s’effrite mais tient debout. Le retentissement des impacts scande la visite de l’exposition.

D’autres artistes travaillent selon un héritage plus directement moderniste, préservées ainsi d’une subjectivité trop catégorisante. Colombe Marcasiano, dans le déploiement sculptural du Nuancier du peintre, installe une gamme de motifs et matières peu nobles (grillage, crépi, brique rouge etc.) et laisse tomber la peinture. A proximité un châssis vierge de sa toile, patiente, appuyé d’une colonne. De son côté, Eva Berendes puise dans le répertoire des avant-gardes avec des emprunts à Sonia Delaunay et Lilly Reich – dont on sait qu’elle avait en charge le dessin des lignes courbes pour le mobilier et les projets d’architecture de Mies Van der Rohe. Avec d’immenses rideaux faits d’empiècements noir et blanc, fixés à une tringle serpentine, l’espace est paré d’une gigantesque cimaise flottante. Sa transparence dévoile Les garçons sauvages de Lili Reynaud-Dewar qui ne sont autres que des formes apprivoisées et réappropriées : des totems bricolés servent de support à des bâtons de rites bouddhistes, eux-mêmes accessoires complétant la panoplie de jeunes gens photographiés arborant les couleurs rastafari sur leur sweat Adidas.

Avec installation qui se distingue de ses réalisations les plus Finish Fétish, Delphine Coindet se place en héritière de Jessica Stockholder. Ses principes d’assemblage sortent du cadre qui ancre encore la pratique de son ainée dans l’éternel pictural, mais avec Bluetooth, l’évocation high tech du titre ajoutée au faux carton ajouré de plexiglas, au tas de sable et au petit collage digne d’un autel commémoratif, fait de cette sculpture un véritable tableau à deux faces, le terrain d’un échange de données.

A l’exubérance générale, l’exposition propose un pendant : le travail de Kristina Bræin dont la présence discrète prend la forme de petits carreaux de faïence que l’on manque de piétiner en faisant le tour d’une sculpture – pendant que Barnett Newman, lui, se retourne dans sa tombe. A d’autres endroits, elle use de matériaux trompe l’œil ou encore, avec trois traits de sparadrap fait jaillir la lumière d’un sac plastique jaune.

Une fois dissipée la tentative de diversion par l’armada communicationnelle et évanoui le plaisir des confrontations formelles et générationnelles, on peut regretter que l’exposition n’ait pas été davantage problématisée. Imaginons la stratégie inverse : ne programmer que des femmes mais au service d’un projet curatorial témoignant d’une complexité identitaire au delà du genre ou encore d’un champ élargi de la sculpture. Au risque que l’omniprésence féminine passe inaperçue ? Quand bien même…

Une certitude, cette exposition n’est pas une initiative isolée pour régler momentanément la question de la représentation des femmes dans la sphère publique de l’art contemporain. Petunia, revue à géométrie, graphisme et périodicité variable réunira des textes de théoriciennes féministes, des artistes, des re-print etc. sans volonté de coller à l’actualité ou à une thématique unifiante.

Les formes féminines : jusqu’au 9/05 à la galerie de la Friche (41 rue Jobin, 3e).
Rens. 04 95 04 96 11 / www.trianglefrance.org

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