r e v i e w s

En présence au CEEAC à Strasbourg

par Antoine Marchand

Cryptic Contemplation

Ce qui frappe immédiatement en entrant dans l’exposition En présence, c’est l’adéquation entre le bâtiment et les œuvres présentées, cette impression prégnante de se retrouver hors du temps pour quelques minutes. Lors de la réhabilitation de ce bâtiment de 1902, qui abritait jadis le magasin de verrerie et de vaisselle Neunreiter, la totalité des éléments décoratifs de style Art Nouveau – boiseries, plafond peint à motifs floraux – et la structure métallique originelle du bâtiment ont été conservées. Cette ambiance élégiaque est idéale pour apprécier pleinement l’exposition conçue par Bettina Klein. En effet, les artistes réunis ici partagent tous une vision ambivalente, à la fois contemplative et mélancolique, de notre société contemporaine. Telles des natures mortes contemporaines, leurs œuvres déploient des narrations fortement

 Leon Vranken, Oak rumble, 2007. Photo Klaus Stöber

Leon Vranken, Oak rumble, 2007. Photo Klaus Stöber

réduites et parviennent à diriger l’attention du spectateur sur leurs caractéristiques physiques, voire métaphysiques.
Ainsi des photographies noir et blanc de Becky Beasley, et notamment la série Five Revolutions. L’inventaire photographique de cette jeune artiste anglaise s’inscrit dans la continuité des travaux des Becher, mais dans une version appliquée à la botanique, puisque c’est une orchidée qui est ici représentée sous plusieurs facettes. Néanmoins, à l’opposé du désir d’exhaustivité et d’objectivité du couple allemand, elle s’applique à manipuler les négatifs, présentant notamment une image de la fleur sens dessus dessous. Contrairement à la tradition de la nature morte, aucune mise en valeur ou tentative d’embellissement de notre réalité, plutôt un regard sur ses aspects étranges et énigmatiques. C’est également le monde végétal qui a inspiré Tacita Dean et Katinka Bock. Le film 16 mm de la première – qui s’intéresse au mystère des poires que l’on trouve dans les flacons d’eau de vie de poire Williams – est à la limite de l’abstraction. La manière dont l’artiste a filmé ces fruits trouble notre perception, donnant l’impression d’être face à une peinture abstraite légèrement mouvante. Le rythme très lent de Prisoner Pair rappelle la quiétude d’une contemplation paysagère, mais nous fait également poser un regard différent sur ce que nous croyons être naturel. Quant à la Partition en automne de Katinka Bock, il s’agit d’une ligne ondulante, réalisée à partir de brindilles de bois ramassées suite à une tempête, représentation mélancolique de la destruction d’une forêt. La monumentalité fragile de cette œuvre rappelle les œuvres emblématiques du Land Art ou de l’Arte Povera en évoquant notamment la ligne d’horizon ou le passage du temps.
À première vue, Oak Rumble, la sculpture de Leon Vranken, s’apparente aux vitrines que l’on peut trouver dans les institutions muséales. Toutefois, lorsqu’on s’approche de ce meuble massif, habituellement conçu pour protéger et présenter des objets précieux, il apparaît fragilisé par de multiples découpes infligées par l’artiste à la structure. Il offre de fait une perception totalement renouvelée de ce que nous croyons connaître et provoque un subtil décalage dans notre perception de la réalité. Enfin, dans la vidéo de Wolf Von Kries, zapping spontané au rythme aléatoire mais très présent, à chacun d’imaginer les significations cachées, les liens entre une séquence et une autre, entre ces images et notre mémoire du quotidien. Les rencontres fortuites qui s’opèrent dans Jars transforment l’ordinaire en extraordinaire, à travers une approche mystérieusement poétique. À l’opposé des grands shows spectaculaires très en vogue aujourd’hui, l’économie formelle et l’épure prônées par la curatrice d’origine allemande dans En présence sont une invitation à ralentir le rythme, à prendre le temps d’appréhender différemment les œuvres exposées. De facture très minimale, elles n’en sont pas moins chargées d’histoires multiples qui ne se révèlent qu’après quelques instants d’attention, et aucune d’entre elles n’est finalement telle qu’on l’imaginait au départ.

En présence
CEEAC, Centre Européen d’Actions Artistiques Contemporaines, Strasbourg
27 février – 16 mai 2010
Avec Becky Beasley, Katinka Bock, Tacita Dean, Wolf von Kries, Leon Vranken, Dan Peterman. Commissariat Bettina Klein