r e v i e w s

Ecrire dans les marges, à l’Ecole des Beaux Arts de Toulouse

par Marie Frampier

Sur une proposition de la revue Hypertexte et en étroite collaboration avec les étudiants de quatrième année de l’École des Beaux-arts de Toulouse (workshop réalisé entre février et juin 2010), la commissaire d’exposition Mathilde Villeneuve a conçu et réalisé Les Interlocuteurs, un cycle de trois expositions respectivement intitulées Le Chemin du Serpent, Écrire dans les Marges et Les Fausses Confidences. Le second volet est présenté à l’École des Beaux-arts de Toulouse du 10 juillet au 29 août 2010.

Écrire dans les Marges. Mais que sont les marges ? Des zones vierges à préserver, de possibles espaces d’expression ou un champ de lecture parallèle à créer ? Ce qui est en marge est-il nécessairement le résultat d’un processus de marginalisation, et condamné à le rester ? La marge serait-elle rebord ou rebut, espace de liberté critique ou simple faire-valoir ? « La marge tient la page », écrivait l’historien de l’art Jurgis Baltrusaïtis. Ici, elle est un lieu de (re)création où se mêlent commentaires, interprétations, échanges, superpositions et autres collages formels et idéels. Mark Geffriaud, Emmanuelle Lainé et Charlotte Moth incluent dans leurs oeuvres le principe même de l’échange, et la présence de l’interlocuteur

Julien Crépieux, Photogramme extrait de la vidéo sonore RE: Wind Blow Up, 2010

Julien Crépieux, Photogramme extrait de la vidéo sonore RE: Wind Blow Up, 2010

que celui-ci implique. Avec Who I am Entering The House My Brother (2010), Mark Geffriaud présente l’amorce d’une correspondance entre le critique d’art Sébastien Pluot et lui-même. Deux premières lettres rédigées simultanément, chacune en attente de réponses. Les monologues parallèles dessinent la trame d’un dialogue alors latent. Re : Wind Blows Up (2010) de Julien Crépieux reproduit et démultiplie les images du film Blow Up de Michelangelo Antonioni, dans un rapport au « même » empli d’illusions. Dans The Best Short Stories About Art (2005), Laetitia Badaut Haussmann, Natalia Marrero et Jorge Pedro Nunez utilisent également la citation cinématographique mais ici dans un double jeu réflexif (l’art vu par le cinéma / le cinéma vu par l’art / l’art vu par le cinéma vu par l’art), avec distanciation et sens de la dérision.

La marge est aussi en-deçà, au-delà, intrinsèque. Sonate Hoboken (2008) de Guillaume Constantin est une oeuvre sonore constituée d’éléments périphériques (bruits de claviers, pages de partitions tournées, pédales enclenchées, etc.) enregistrés lors d’une interprétation au casque d’une sonate de Haydn. Ce qui semblait n’être que des sons parasites devient dès lors une oeuvre rythmique à part entière. Restage. Replay. Reload. (2007) de Sandy Amerio est une ode poétique à la folie du reenactment historique devenu performance, via la figure d’un reenactor japonais qui parcourt le monde. À la manière de Don Quichotte et avec l’ambition démesurée des personnages d’Herzog, le Général se bat sans relâche contre les fantômes des batailles et faits d’armes de la Seconde Guerre Mondiale.

Malgré quelques petits impairs scénographiques, l’exposition est de qualité, tant au regard de son concept que du choix de la grande majorité de ses oeuvres. « Écrire dans les marges » ou l’art de faire du hors-piste. Ainsi me permettrai-je de citer quelques précieux conseils, prodigués par Emmanuelle Lainé et Lætitia Paviani dans Et noix de coco, ça vous fait penser à quoi ? (2010), à destination de tout « hors-pisteur » dans l’âme : « Ne pas négliger l’information. Bien s’équiper. Ne jamais partir seul. Préparer son itinéraire. Savoir s’adapter. Se compter régulièrement. Ne pas s’arrêter n’importe où. Garder une vitesse modérée. Se fier à l’instinct. Face à une avalanche, garder son sang-froid ». Et concluent-elles : « Chacun sait par ailleurs que le degré de sensation est à l’échelle du respect strict ou non de ces consignes de sécurité ».

Écrire dans les marges à l’École des Beaux-arts, Toulouse du 10 juillet au 29 août 2010


articles liés

Petticoat Government

par Juliette Belleret

Maxime Bichon au CAPC, Bordeaux

par Georgia René-Worms