r e v i e w s

Christelle Familiari

par Joelle le Saux

Christelle Familiari cultive l’ambiguïté, le double sens, la mutation des choses. Elle aime à brouiller les pistes, en premier lieu, donner à ses œuvres et interventions des titres énigmatiques, qui obligent le spectateur à se saisir simultanément de plusieurs phénomènes : Flasque, Trou noir. Ces deux expositions, qu’elle présente respectivement à la Criée et à la fondation Ricard à quelques semaines d’intervalles, prolongent les thèmes de prédilection de l’artiste, la métamorphose et l’échange. La comparaison s’arrête là car les dispositifs qui sont déployés dans ces expositions nous confrontent à deux approches distinctes de la temporalité de l’œuvre et de son expérience.

Typique des installations qu’elle déploie dans l’espace d’exposition, Christelle Familiari a pensé Flasque comme un all-over. De l’argile blanche a été déposée sur le sol de la Criée, le recouvrant entièrement et transformant l’envahissement de la matière en process. En même temps que les spectateurs expérimentent l’œuvre, ils modèlent involontairement la surface informe. Les caractéristiques de l’argile, sa texture, sa couleur sont pleinement activées. Celle-ci va progressivement sécher, se fissurer, passer d’un état proche du champ de boue à une étendue aride. Les pots disséminés sur ce sol pourraient suggérer quant à eux une utilisation plus conventionnelle, presque artisanale de l’argile. Mais ce qu’ils donnent à voir, c’est la force de la gravité, l’idée de l’effondrement et de l’informe.

Une série de photographies témoignent des différents états de l’installation, présentée à la fondation Ricard, elles restituent la temporalité de l’œuvre. D’une tout autre nature, Trou noir précipite ainsi le spectateur au cœur de la démarche processuelle de l’artiste. Entre documents, traces et auto-citation, l’exposition prend l’allure d’un parcours qui tisse les liens d’une pièce à une autre. Une série de lithographie se développe à partir d’ images de performances de l’artiste et nous entraîne vers une métamorphose, de l’image et du corps par une série de recouvrement et d’effacement du corps. L’image de la performance passée n’est plus alors synonyme d’absence ou d’épuisement de la mémoire. Elle devient le support d’un autre système de représentations des choses. Une métamorphose, selon Christelle Familiari, un mode de réminiscence et de survivance des images.

Relevant également de l’image, Un, des corps est un collage dont Christelle Familiari nous propose ici une interprétation sculpturale. L’artiste y juxtapose des images disparates de tissus et de corps qu’elle a collectées dans des magazines de mode. D’échelles différentes, l’hybridation de ces fragments modifie leur statut et impose celui bien plus critique du corps imbriqué, monstrueux, emprisonné par l’apparat, le rêve et le désir.

C’est un procédé similaire qui est en jeu dans les quatre vidéos, le tourniquet, (…) hic, le passage et le banc . Une Jupe bolivienne recouvre et transforme le corps en personnage irréel répétant en boucle des actions simples qui instaurent une animalité toute puissante, l’absurdité de la répétition, sans possibilité de s’en échapper. Avec ces corps tronqués, Christelle Familiari s’inscrit dans l’héritage formel et spirituel du surréalisme, le corps hyper présent et en même temps suggéré, est celui de l’ambiguïté entre attraction et répulsion, séduction et monstruosité, impuissance et futilité des choses.

Joëlle le Saux

Flasque, à La Criée, Rennes, du 11 janvier au 24 février 2008.
Trou noir, à la Fondation d’entreprise Ricard, Paris, du 18 avril au 31 mai 2008.

Flasque

Vue de l'exposition Flasque à la Criée, Rennes, février 2008.

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