r e v i e w s

Biennale de Lyon

par Stephane Sauzzedde

10e Biennale de Lyon 2009 – Le quotidien qui va trop vite

Alors que la biennale de Lyon 2009 se termine, le constat s’impose que cette fois-ci, elle  n’aura pas été le lieu de débat et de polémique. Il ne faut peut-être pas regretter 00’s, l’histoire d’une décennie qui n’est pas encore nommée, la Biennale précédente conçue par Stéphanie Moisdon et Hans-Ulrich Obrist, son accrochage émietté et sa rhétorique alambiquée, les critiques acerbes de la presse française et les effets dialectiques pour en préserver les deux commissaires, mais elle avait eu le mérite de poser des questions inédites, de construire un problème par l’exposition, de pointer la cacophonie contemporaine pour nous demander de nous en saisir. La dixième Biennale quant à elle n’a pas réussi à ouvrir un espace de discussion à la hauteur de son ambition. Certes il y a bien eu dans la presse quelques jeux de ping-pong, entre Alexis Jakubowicz de Libération et André Rouillé de paris-art.com, par exemple, mais rien de bien méchant, rien de bien passionnant surtout. D’aucuns regrettent la faiblesse formelle de certaines œuvres, d’autres la naïveté de certaines positions politiques – et c’est vrai qu’il y a des œuvres faibles et/ou naïves, mais il y en aussi ailleurs à longueur d’année. D’autres pointent les pépites qu’Hou Hanru a su rapporter à Lyon, comme le si délicat travail de sculpture de Takahiro Iwasaki, faisant surgir de serviettes de toilettes de petits pylônes électriques, juste en tirant quelques fils de coton, en les enduisant de cire ou de colle, et en les tressant ensemble. Ou encore disent que cette Biennale a pour elle une générosité bienvenue, choisissant d’inviter des artistes peu connus, d’associer des acteurs locaux (le programme d’art dans la ville Veduta, entre autres), de proposer des moments de rencontre et de discussion dans le flux du « quotidien »… Et encore une fois, tout cela est vrai. Mais pour autant, ce programme qu’est la Biennale n’a pas réussi à créer son agora, n’a pas réussi à ouvrir dans l’espace de notre contemporanéité un lieu à explorer, à construire des questions avec lesquelles nous aurions pu repartir, ennuyés, bousculés, changés, chargés aussi, pour pouvoir, dans notre quotidien à nous, en faire quelque chose. Cela est peut-être dû au fait que cette Biennale est allée trop vite, et qu’in fine elle n’était pas assez tendue.

 Mingwei Lee, The Moving Garden, 2009. Installation interactive. Matériaux divers, granit, acier inoxydable, toile, bois, fleurs, eau. Courtesy de l'artiste et Lombard-Freid Projects, New York. Avec le soutien de Lombard-Freid Projects, New York, du Conseil des affaires culturelles, Taïwan et du Centre culturel de Taïwan à Paris. Photo Blaise Adilon.

Mingwei Lee, The Moving Garden, 2009. Installation interactive. Matériaux divers, granit, acier inoxydable, toile, bois, fleurs, eau. Courtesy de l’artiste

Hou Hanru avait pourtant travaillé à disposer des polarités franches, censées être garantes d’une mise en tension : le « spectacle » d’un côté (puissance du faux, représentation, éloignement de la sphère du vécu, dramatisation), le « quotidien » de l’autre (temps incarné, flux non saillant, banalité). Et les œuvres, les expositions, les événements périphériques, tout le dispositif de la Biennale devait participer à la discussion tendue entre les deux notions proposées comme des opposées.

Or que s’est-il passé réellement ? Il y a bien eu des œuvres choisies et disposées dans l’espace pour alimenter le débat et créer de la tension, mais nous avons été bien en reste en ce qui concerne l’intensité. Par exemple, l’ouverture de l’exposition à La Sucrière peinait à convaincre : l’installation de Shilpa Gupta – une porte en fer forgé, se balançant de droite à gauche, claquant à chaque mouvement contre le mur qui la soutenait – était disposée sous l’œil des caméras de surveillance que Jimmie Durham avait choisi de combiner avec un échafaudage flambant neuf (Regarde, 2009, œuvre censée dramatiser le rapport du travail – dans le bâtiment ? – à la surveillance généralisée). Nous aurions dû être saisis par la violence irrationnelle de la porte métallique, et notre position de spectateur se délectant de cette violence aurait dû nous apparaître criante grâce aux caméras. Mais le claquement nous a vite ennuyé, et les caméras d’apparaître comme un ingrédient rhétorique d’une œuvre ratée. La tension n’est pas seulement une question de pôle positif et négatif, elle est aussi une question de charge, et il faut pour que ce soit intense que les deux charges soient saturées – le plus possible. Ici, vraisemblablement, le temps de charge n’a pas été suffisant.

Il en va de même pour les propositions périphériques ou locales, comme celles faites dans le cadre de Veduta : pour un moment fabuleusement énergique passé avec les laborantins fous d’Elshopo, proposant ce jour-là des crêpes sérigraphiées à la Danette et au Nutella, combien de propositions banales d’un art préemptant « la question du social » – comme si le social pouvait être une question ? Et ce n’est d’ailleurs pas le problème de la banalité des propositions, mais le problème de les extraire du flux dans lequel elles ont potentiellement une valeur, pour les donner comme exemplaires. Et on aurait pu imaginer qu’Hou Hanru se contente d’éditer un guide de toutes les actions, activités, ateliers, expositions et situations générés à Lyon et dans ses environs pendant les journées des quatre mois de la Biennale… Cela aurait été tragiquement ennuyeux, mais cela aurait réellement renvoyé au quotidien… Ou à l’inverse, il aurait peut-être fallu que les artistes aient plus de place et plus de temps, et qu’à l’image de Sarkis qui au musée d’Art contemporain ouvre un paysage troublant, un ailleurs qui tient autant du mythe que du rêve éveillé, ils déploient davantage ce qu’ils ont à nous dire. Et l’on se surprend à penser à la façon dont Dieter Roth avait envahi le Mac de Marseille en 1997, travaillant sur place avec le même abandon et la même précision que dans son atelier, dans sa cuisine, dans son bistrot aussi.

 

Cette biennale n’a donc peut-être pas eu assez de temps. Mais le temps qu’il manquait n’était pas celui, professionnel, de Hou Hanru qui en a vu d’autres. Il manquait du temps pour les œuvres, pour les artistes, pour les spectateurs. Il manquait du temps pour laisser se déployer la puissance du quotidien qui sait anéantir le spectacle dès qu’il n’est plus sous pression. Il manquait du temps pour que la polarité donnée comme acquise entre « spectacle » et « quotidien » soit davantage identifiée, problématisée et peut-être dépassée en posant l’hypothèse suivante : si le quotidien va trop vite, il ne peut être que spectaculaire.

10e édition de la Biennale de Lyon, Le Spectacle du quotidien, du 16 septembre 2009 
au 3 janvier 2010. Commissaire
 Hou Hanru.

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