r e v i e w s

Affinités électives/Continents à la dérive au Crac de Sète

par Patrice Joly

Le centre d’art contemporain de Sète réunissait récemment deux propositions pour le moins éloignées, tant sur le plan des médiums convoqués que sur celui des préoccupations curatoriales. Alors que la majeure partie du lieu était occupée par la proposition de Miquel Mont tout entière dédiée à une exploration de pratiques picturales récentes, une autre « section » venait remplir l’espace restant d’une sélection de trois artistes vidéastes et photographes autour du thème élargi des migrations. Si chaque proposition exprimait une cohérence plutôt réussie, le surprenant enchâssement des deux venait créer une interpénétration plutôt trompeuse.

Emmanuelle Villard

Emmanuelle Villard

Afinitats electives – L’Empathie des parties. Ce titre qui fait plus penser à un manuel de psychosociologie qu’à une exposition de peinture fait référence à la constitution de l’exposition dont elle pourrait tenir lieu de mode d’emploi ; elle fait suite à celle qu’avait déjà réalisée Miquel Mont au centre d’art de Lleida, dont elle reprend majoritairement la liste des artistes tout en modifiant considérablement le mode d’apparition de leurs pièces. Autant Lleida est bâti d’un seul tenant, autant Sète est un centre d’art partitionné dont les multiples variations de volume et de hauteur sous plafond tiennent lieu de statement avec lequel il faut composer. Le propos de Miquel Mont, dans un cas comme dans l’autre est justement de se confronter avec le lieu et de tenter d’instituer un dialogue avec ce dernier. Sa position est plutôt de montrer la peinture comme un élément structurant de l’espace, pouvant venir concurrencer l’architecture dans sa fonction même : on comprend mieux du coup l’absence de toute peinture figurative et il n’est pas surprenant de rencontrer un Christophe Cuzin dont l’approche picturale se situe au plus près de ces préoccupations spatiales, de même qu’un Molinas qui lui donne la réplique (au sol). Mais la réflexion de Mont ne s’arrête pas à une mise en perspective peinture-architecture, outre son interrogation sur la spatialité, elle engage une discussion intéressante avec la vidéo : ainsi les deux écrans rassemblés de Marylène Negro (Mabel) viennent fort judicieusement jeter le trouble sur la notion de « tableau ». Il en est de même de la remarquable séquence d’Emmanuelle Villard qui nous permet d’envisager une temporalité multiple de l’œuvre ou encore des pièces d’Irene van de Mheen que l’on peut appréhender de manière très littérale comme de simples briques, mais aussi comme les fragments d’un ouvrage en perpétuelle recomposition. D’une manière générale, la réflexion qu’engage Miquel Mont avec sa discipline (y compris dans sa propre pratique) est la plupart du temps juste et permet de revivifier les termes de sa définition, exception faite à mon sens du moment où le « désir de réel » se fait trop prégnant, notamment avec le lourd dispositif de Yann Beauvais ou encore la transparence de la pratique de Hassan Darsi. Peut-être parce que, comme le fait très justement remarquer Miquel Mont à propos de la pièce de Beauvais, le choix de la forme a toujours été et est toujours une décision politique.

Caetano Diaz

Caetano Diaz

Continents à la dérive. Sur fond de mondialisation des échanges et de déplacements massifs des populations, la proposition de Muriel Enjalran tente de dessiner une nouvelle géographie des migrations échappant au discours culpabilisateur ou dénonciateur de mise : quand bien même les situations évoquées par les œuvres présentées réfèrent à des arrière-plans dramatiques, elles n’en réussissent pas moins à tracer des perspectives de dépassement du fatalisme de service. Au demeurant, il n’est pas forcément question pour les trois artistes en présence de délivrer un quelconque message d’espoir : ce dernier arrive par la bande, presque malgré lui, en dérivant du constat poétique tiré de ces situations extrêmes pour en transcender les limites prosaïques. Ainsi la vidéo de Caetano Dias nous montre une petite fille des favelas, transfigurée par la « danse » qu’elle exécute au sommet d’un podium improvisé et qui la déplace, le temps d’un éphémère moment de grâce et de lévitation, par-delà les contingences du décor. Le mouvement de caméra redouble à l’envers et au ralenti celui de l’enfant et de son houla hoop, accentuant cette impression de solarité qui semble en émaner, même si par ailleurs, les ombres de la favela nous ramène vers une réalité plus sombre. Angela Feirrera est coutumière de ces sentiments mitigés envers des horizons abandonnés mais toujours vivaces dans son esprit : les photos qu’elle présente au crac témoigne de cette nostalgie « critique » qui caractérise son regard envers l’ancienne colonie qui lui a donné le jour et dont elle continue à stigmatiser les traces d’un colonialisme qui se délite lentement, peu à peu rattrapé et « recolonisé » par la végétation « autochtone ». Enfin, Bouchra Kahlili déploie un ensemble de films qui témoignent d’expériences de transit, d’un nomadisme forcé capable de susciter autant de réponses amusées ou distanciés de la part de leurs protagonistes. Ainsi de Circle Line qui reprend la bande son d’une cérémonie de naturalisation, apologie d’une immigration réussie tandis que défilent les questions du formulaire d’obtention de la green card, plaçant les futurs candidats dans des conditions de compréhension aussi absurdes que déplacées. Mapping Journey recueille le témoignage d’un exilé algérien devant la carte de ses déplacements, réinventant une espèce d’anti mappy au service de la clandestinité, faite de zigzags et de contournements, de détours et d’obstacles qu’on devine d’une nature bien plus périlleuse que nos mesquines mais somme toute rassurantes barrières de péages.

Bouchlil

Bouchra Kahlili, Mapping Journey

Dialogue : L’empathie des parties – Afinitats Electives, au Crac, Sète, du 17 janvier au 8 mars 2009. Avec Yann Beauvais, Neal Beggs, Ángela de la Cruz, 
Christophe Cuzin, Hassan Darsi, Juan Antonio Hernández Diez, Irene van de Mheen, Miguel Angel Molina, Miquel Mont, Marylène Negro, Jesús Palomino, Emmanuelle Villard. Commissariat Miquel Mont, Glòria Picazo, Noëlle Tissier