Run Run Run

par Patrice Joly

Villa Arson, Nice, 2.10_30.12.2016

L’exposition « RUN RUN RUN » aurait aussi bien pu s’appeler « retour aux sources » tant le lien entre les deux structures niçoises à son origine – un centre d’art doublé d’une école nationale des beaux-arts d’un côté, un artist run space de l’autre – est riche et remonte à fort loin. Comme le confie Cédric Teisseire, le directeur et fondateur de La Station dont « RUN RUN RUN » célèbre les 20 ans, 95% des résidents de l’association sont issus de la Villa Arson. Il existe – au-delà d’une interdépendance logique et naturelle entre une école d’art et un lieu associatif qui agit, à l’instar de nombreuses configurations similaires, comme un débouché tout trouvé pour de tout nouveaux diplômés – une histoire commune entre ces deux structures que tout ou presque oppose : le budget, le fonctionnement, la désignation des dirigeants, le caractère pérenne ou pas, les objectifs, si ce n’est que les deux partagent le même désir de promouvoir et d’animer la scène locale et de concourir à l’épanouissement des jeunes artistes. Comme le dit encore Cédric Teisseire, La Station est née en 1995 pour venir combler un manque ou plutôt pour réagir à la relative perte de rayonnement de la scène niçoise suite aux départs des galeries Air de Paris et art concept et de Christian Bernard, le directeur iconique de la Villa Arson parti fonder à Genève un nouveau musée d’art contemporain, le célèbre mamco. Après la célébration des 30 ans de la création des fracs et des centres d’art qui a marqué l’essor de l’art contemporain en France, et d’une certaine manière le début de sa démocratisation, les 20 ans de La Station font état de cette troisième vague de création de structures qui correspond au développement du mouvement associatif, dans la foulée du précédent, plus institutionnel.

SNAP projects (Lyon), Paul Raguenes, Ecumes, 2016. Tôle ondulée, céramique à froid, 300×420 cm. Sebastian Wickeroth, Sans titre, 2016 (Lyon). Verre, peinture en spray, bois, 180x420x45 cm. Vue de l’exposition Run Run Run. Photo : Gilles Pourtier

Il faut rendre hommage à Éric Mangion, le directeur artistique de la Villa Arson, pour avoir pris l’initiative d’une invitation qui reste pour le moment exceptionnelle : celle d’accueillir en son sein un « run space » et ainsi de reconnaître le travail réalisé par ces derniers. Il faut également rendre hommage à Cédric Teisseire pour avoir invité ses confrères et ses consœurs à célébrer les 20 ans de son lieu plutôt que d’avoir pondu une énième exposition rétrospective et/ou chronologique. Car, il faut bien l’admettre, le travail des associations (qui englobe les artist run spaces et autres « petits » lieux aux profils très variés) est rarement reconnu alors que sans ces dernières, on imagine mal comment les jeunes artistes réussiraient à faire leurs premiers pas dans le monde de l’art. Cet événement pourrait bien augurer d’une série de célébrations semblables, avec, on l’imagine, une très grande différence d’approches dans leur mise en place : c’est d’ailleurs ce qui frappe lorsque l’on déambule dans les espaces de la Villa livrés aux 22 run spaces que cette exposition réunit, l’absence d’homogénéité et la très grande différence dans le traitement et la production des pièces qui peuvent aller des plus light aux plus léchées. Cette absence d’homogénéité, si elle renvoie à la volonté du commissaire de laisser opérer les structures et de ne pas intervenir sur leurs propositions, outre qu’elle donne une image assez juste de la diversité qui caractérise les lieux, témoigne aussi du mode de sélection qui a présidé aux invitations, reposant plus sur un principe de cooptation amicale que sur un désir de cartographie — impossible — des artist run spaces.

Lieu Commun / Zébra 3 / Buy-Sellf (Bordeaux – Toulouse), Vue de l’exposition Run Run Run. Photo : Gilles Pourtier.

Lieu Commun / Zébra 3 / Buy-Sellf (Bordeaux – Toulouse), Le collectionneur, 2016. Exposition à l’intérieur d’un vehicule Toyota Husntman Mini-Motorhome, 1985. Vue de l’exposition Run Run Run. Photo : Gilles Pourtier.

Ce qui peut parfois apparaître choquant tellement les propositions sont inégales, participe d’une volonté de témoigner d’une ambiance, d’une énergie, d’un rapport au monde plutôt que de faire œuvre expositionnelle : ainsi la galerie carrée qui regroupe le Lieu commun et Zébra 3, run spaces historiques, le premier toulousain, l’autre bordelais, avec, trônant au milieu de l’espace, un van retapé rempli de productions datant des années 90 dont le fameux catalogue des éditions Buy-Sellf, atteste assez bien de cet esprit loufoque, gentiment rebelle et parfois franchement potache ; c’est également un clin d’œil assez net au nomadisme et au sentiment de précarité qui a bien souvent été et continue d’être le lot de ces structures, pour ne pas parler d’errance… « RUN RUN RUN » réserve de nombreuses (bonnes) surprises comme la salle de snap projects où sont réunies les pièces de Paul Raguenes et de Sebastien Wickeroth, l’impressionnante pièce d’Émilie Perroto et Marc Geneix, impeccablement produite, ou encore le très jubilatoire techno/sauna de Wonder, collectif basé à Saint-Ouen1 en proche banlieue parisienne, qui propose d’écouter en groupe restreint (car la cabine ne permet de faire entrer que deux ou trois personnes) le gros son qui sort des enceintes tout en étant plongé dans l’étuve du sauna : la pièce évoque selon ses concepteurs l’ambiance chaleureuse du vernissage où se conjugue souvent son, sueur et verres de bière partagés au milieu des dernières productions…

LM (Paris), Ingrid Luche et Nicolas H Muller, Richard, Franz, Isa, 2016. Techniques mixtes, dimensions variables. Vue de l’exposition Run Run Run. Photo : Gilles Pourtier.

RUN RUN RUN – Le Wonder (Saint-Ouen), Kiuaskivi, 2016.
Maxime Fourcade, Guillaume Gouerou, Simon Nicolas, Nelson Pernisco, Basile Peyrade.
Sauna, étagère, serviettes de bain, cabine, amplificateur, transducteurs, affiche de programmation, dimensions variables. Vue de l’exposition Run Run Run.
Photo : Gilles Pourtier

Par ailleurs, le collectif LM, né de la rencontre d’Ingrid Luche et de Nicolas H. Muller en 2016, proposait diverses interventions qui parsemaient le labyrinthe arsonnien et tout particulièrement ce remarquable reenactment d’un arc-en-ciel de Richard Jackson, produit par le mouvement circulaire d’une palette frottée contre une cimaise. Cette pièce était aussi un clin d’œil à la très riche histoire artistique de la Côte d’Azur et aux nombreux artistes hexagonaux et/ou étrangers qui y ont séjourné : dans le même esprit de revisitation de cette histoire azuréenne, l’hommage du collectif italien Dolceacqua à la Cédille qui sourit, l’un des tout premiers run spaces français puisque créé par Georges Brecht et Robert Filiou en 1965 à Villefranche-sur-Mer, prenait la forme d’un extrait du dernier carton de la Cédille amplifié et reproduit sur les cimaises par Jean-Baptiste Ganne et Massimilio Baldassari.

1 Le Wonder déménage en février dans ses nouveaux locaux de Bagnolet.

 


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