Mai-Thu Perret

par Patrice Joly

Les Étangs, Le Portique, Le Havre, 24.10-19.12.2020

C’est une exposition pour le moins dépouillée à laquelle le Portique nous conviait le mois dernier, celle de l’artiste suisse Mai-Thu Perret dont nous sommes habitués à contempler les formes issues du modernisme et des avant-gardes. Celle-ci s’évertue à en revisiter le vocabulaire afin de le parer de nouveaux habits. Le terme « habit » ne renvoie d’ailleurs pas à une figure de style pour l’artiste qui a su décliner les poncifs de ce modernisme aussi bien dans ses sculptures et ses peintures que dans la fabrication de scénographies, qui ébauchent des récits qu’elle laisse au spectateur tout loisir de compléter. « Les Étangs » ne fait pas exception au principe elliptique emblématique de sa démarche, qui fait la part belle à la divagation tout en amenant des pistes de réflexion sur la forme des villes et l’influence de l’architecture.

Au Portique, le centre d’art du Havre, la native de Genève – qui a sillonné la plupart des centres d’art et musées d’Europe – a joué le jeu d’une architecture divisée en deux niveaux. Elle y a construit deux ambiances différentes, qu’elle a reliées par sa constante volonté de créer des déambulations – tant mentales que physiques – à l’intérieur d’installations paysagères. Si le premier niveau fait référence sans équivoque au titre de l’exposition, « Les Étangs », le deuxième renvoie à une ambiance plus aérienne. Le premier étage accueille ainsi un ensemble d’œuvres très minimal, essentiellement composé d’un grand rideau aux motifs abstraits accompagné de larges nénuphars en céramique répartis sur le sol de l’espace. La référence aquatique fonctionne à plein dans une installation dont le but semble être de vouloir nous plonger dans une ambiance tropicale avec un minimum de moyens : une dizaine de feuilles à peine, dont l’improbable diversité chromatique vient contredire le réalisme. Le grand rideau « de scène », aux motifs que l’on devine botaniques, appuie la théâtralité d’un décor dont on s’attendrait presque à ce qu’il soit investi par une troupe de danseurs venant zigzaguer entre les îlots de terre cuite… Derrière la nouveauté a priori d’une proposition qui semble éloigner Mai-Thu Perret de ses schèmes narratifs habituels, on retrouve la pratique d’une artiste s’ingéniant le plus souvent à élaborer des récits indiciels. Pourtant ici, le souci de créer une narration semble s’être dissipé devant celui d’installer une ambiance paysagère plus diffuse. N’importe quel récit pourrait ainsi jaillir de ce cadre lacustre. Et la tenture aux motifs botaniques de venir border le rivage de cet étang imaginaire et camper le décor d’un film d’aventure dans les tropiques… On pense aux bayous de la Floride ou aux méandres paresseux de l’Amazonie, d’où sourd une activité sauvage intense. On est dans l’attente du surgissement d’un jaguar, de crocodiles ou d’un groupe d’Indiens en pirogue venant troubler le fond épuré de ce plateau de cinéma.

À l’étage supérieur, l’artiste a planté un autre décor, plus complexe, et en relation directe avec la ville du Havre au milieu de laquelle le Portique est bâti. Ainsi une maquette stylisée en céramique du « volcan » de Niemeyer trône au beau milieu de l’installation. Elle est un clin d’œil autant qu’un hommage à l’audace architecturale de la ville et à l’organicité prononcée des lignes de l’architecte brésilien, qui viennent ici contredire la rectitude des constructions de Perret (le bâtisseur de la ville, qui partage le même patronyme que l’artiste). La plasticienne est familière de la discipline ; ainsi l’a-t-on déjà vu se pencher sur les constructions de Lina Bo Bardi ou de Katarzyna Kobro. Au public d’y voir une manière de se réapproprier des architectures monumentales – qui bien souvent nous dépassent – ou bien de rendre hommage aux grands maîtres du modernisme… Au milieu des feuilles de tulipier en papier qui parsèment le sol et forment un tapis végétal guidant nos pas, l’artiste a dessiné un nouveau paysage et initié une nouvelle atmosphère. Avec elle se trouvent contredit le tropicalisme de l’étage plus bas et amenée une ambiance plus duelle que celle du premier niveau, plus immédiatement identifiable. Cette seconde installation instaure un passage entre nature et culture grâce à la référence à l’architecture de Nimeyer, dont les formes peuvent être lues comme des tentatives de réinscrire la ville dans un milieu naturel via le déploiement inhabituel (pour l’époque) de formes courbes.

Il est permis de penser que l’artiste poursuit la démarche de l’architecte brésilien ; les deux énormes sphères en papier du Japon qui nous accueillent, emplissant l’espace, résonnent ainsi avec le galbe du volcan en accentuant la dimension gaïesque de l’installation. On ne sait pas si l’artiste se réclame d’un quelconque militantisme anthropocénique dont elle défendrait ici la variante utopique et écoféministe… Toujours est-il que ce plaidoyer « sphérique » au beau milieu d’une ville à angles droits ne manque pas de déclencher quelques réflexions sur la forme rêvée des villes : on se plaît alors à imaginer un Niemeyer bâtisseur du Havre d’après-guerre à la place d’un Auguste Perret…

Toutes les images : Vue de l’exposition Mai-Thu Perret, Les Étangs © Le Portique centre régional d’art contemporain du Havre, 2020.


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