Edith Dekyndt, Slow Stories, à la BF15

par Alexandrine Dhainaut

Proposition en résonance avec la Biennale de Lyon, l’exposition « Slow Stories » de l’artiste belge Edith Dekyndt à la BF15 est une respiration dans le trop-plein de l’événement de cette rentrée. Respiration, par le faible nombre de pièces d’une part – trois dont une archive filmique – et la simplicité de leur accrochage d’autre part. Développant des projets toujours en lien avec le site sur lequel ils seront exposés, Edith Dekyndt aborde avec « Slow Stories » l’Histoire lyonnaise, à partir de trois références : la présence de cours d’eau, le tissage et le commerce de la soie qui ont fait la renommée et la richesse de Lyon, et la naissance du Cinématographe et autres autochromes des frères Lumière. Ces éléments factuels offrent un terreau propice aux expérimentations de l’artiste qui depuis de nombreuses années recourt aux éléments tels que l’eau, l’air, la lumière ou le son, pour révéler la part poétique et esthétique de phénomènes naturels tels que la gravité, l’apesanteur ou encore le magnétisme.

Edith Dekyndt, Water Album 01 (La Saône, Lyon, France), 2013. Aquarium en plexiglas de 40x50x200 cm, 220 l d'eau de la Saône gélifiée. Robert Dasché, Pêche à l'épervier, 1936. Film 16mm NB, muet. Collection Pôle Image Haute-Normandie. © Alexandre Christiaens.

Edith Dekyndt, Water Album 01 (La Saône, Lyon, France), 2013. Aquarium en plexiglas de 40x50x200 cm, 220 l d’eau de la Saône gélifiée. Robert Dasché, Pêche à l’épervier, 1936. Film 16mm NB, muet. Collection Pôle Image Haute-Normandie. © Alexandre Christiaens.

Posant souvent la question de la surface, de la projection et de la lumière, certains travaux d’Edith Dekyndt sont à ce titre éminemment cinématographiques. Et c’est par une évocation directe au cinéma que s’ouvre l’exposition « Slow Stories ». D’emblée, le visiteur est confronté à une immense cimaise blanche qui se dresse frontalement juste devant les baies vitrées de la BF15, sur laquelle est suspendue une toile en tissu, monumentale et lâche, recouverte de feuilles d’argent pur. Frappée par la lumière naturelle et profondément instable, l’œuvre intitulée Slow Object 06 joue de ses propriétés réfléchissantes, sur les ombres que les corps des visiteurs peuvent y projeter, de sa fragilité et de son déclin programmé. Cet écran à mirages fusionne le support et la surface de projection. Et la surface qu’elle étend est tout sauf lisse, l’argent y volette et sera sujet à l’oxydation, peu à peu gagné par le noir au fil du temps. Potentielle réflexion sur la dématérialisation galopante des images, l’œuvre réalisée en 2013 affirme alors une matérialité forte sur plus de six mètres de long. Derrière l’imposante cimaise argentée, se cachent deux instants suspendus qui dialoguent entre eux, issus de gestes presque inverses, l’un obtenu en vidant une surface – la Saône – et l’autre déployant une surface vide – un filet de pêche. Sous la verrière de la BF15, Edith Dekyndt présente Water Album 01, un échantillon d’eau prélevé dans la Saône (qui coule de l’autre côté du trottoir), dans un long récipient en plexiglas transparent, simplement posé sur une table blanche. Détail non négligeable : l’eau jaunâtre a été solidifiée par procédé chimique, donnant une texture gélatineuse au liquide. État naturel inversé, mouvement et couleur figés, Water Album 01 oscille entre planéité et profondeur, peinture monochrome et sculpture organique puisqu’à l’intérieur de l’aquarium, un microcosme s’y retrouve figé, en apesanteur. Cet « arrêt sur rivage » entre directement en résonance avec le film d’archive qui lui fait face, sélectionné par l’artiste parmi la collection du Pôle Image Haute-Normandie. Pêche à l’épervier, film amateur noir et blanc et muet, réalisé en 1938 par Robert Dasché, enregistre face caméra une démonstration de pêche à l’épervier, technique consistant à déployer un filet en un jeté rond. Si l’auteur saisit une technique, il capte également l’apparition d’une forme informe, envahissant un cadre en grande partie laissé vide, l’épervier s’y déployant telle l’ombrelle d’une méduse. Projeté en boucle au ras du sol, le film d’une durée très courte présente également de nombreux corps flottants à l’image (traces d’usure, poussières, griffes sur la pellicule, écho aux scories et aux micro-éléments qui peuplent l’aquarium), qui finissent de confondre l’eau et l’air.

Edith Dekyndt, Water Album 01 (La Saône, Lyon, France), 2013. Aquarium en plexiglas de 40x50x200 cm, 220 l d'eau de la Saône gélifiée. © La BF15

Edith Dekyndt, Water Album 01 (La Saône, Lyon, France), 2013. Aquarium en plexiglas de 40x50x200 cm, 220 l d’eau de la Saône gélifiée. © La BF15

Edith Dekyndt, Slow Object 06, 2013. Tissu gris en lainage recouvert de feuilles d'argent pur, 300x650 cm. © Alexandre Christiaens.

Edith Dekyndt, Slow Object 06, 2013. Tissu gris en lainage recouvert de feuilles d’argent pur, 300×650 cm. © Alexandre Christiaens.

Les trois œuvres brillent par la simplicité des gestes qui les ont précédées (recouvrir et suspendre un tissu, solidifier un liquide, filmer un geste technique de pêcheur). Toutes entretiennent un rapport fort à la fois à la matière, au tangible, mais aussi au vide. De ce support d’images fantômes, de cet objet tissé et néanmoins poreux, de cette eau trouble couleur pastel devenue épaisse, se dégagent une poésie et un calme absolus, une parenthèse dans le tumulte des récits du moment.

BF15, Espace d’art contemporain

11 quai de la Pêcherie

69001 Lyon – 33(0) 478 286 663
infos@labf15.org
ouvert du mercredi au
samedi de 14h à 19h.


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