Aurélien Mole, Bénin

par Céline Poulin

Passerelle Centre d’art contemporain, Brest, du 26 septembre 2015 au 2 janvier 2016

Ces dernières années, la pratique d’Aurélien Mole a précisé une obsession essentielle autour de laquelle semble tourner tout son travail d’artiste ou de commissaire : l’apparition. Apparition, dans son lien bien sûr avec les techniques de production de l’image, mais aussi dans son rapport fondamental à la vérité.

Ainsi, la revue Post-Document, qu’Aurélien Mole dirige avec Rémi Parcollet et Christophe Lemaitre, en publiant des photographies d’expositions et d’œuvres qui dévoilent la face cachée de celles-ci, rend visible la partialité d’une histoire de l’art construite sur un pacte tacite d’adhérence aux images sur lesquelles elle s’appuie. La véracité du discours repose sur les images utilisées, mais aussi sur l’assemblage des images entre elles. Avec l’exposition « Sir Thomas Trope », construite en collaboration avec Julien Tiberi, Aurélien Mole mettait en avant la partialité cette fois de tout accrochage, par un dispositif de monstration permettant la création de narrations différentielles entre les œuvres, différents points de vue, dans  tous les sens du terme.

Le pari d’Étienne Bernard, commissaire d’exposition et directeur de Passerelle, fut, pour cette exposition, de contraindre Aurélien Mole à travailler seul, à occuper l’espace sans faire appel à des collaborations. La proposition fut suivie d’effet et l’exposition resserre ainsi les préoccupations de l’artiste qui concentre sa réflexion dans un dispositif total.

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Dès l’entrée, un drapé sombre ferme la perspective habituelle de l’espace central, cloisonnant ainsi l’exposition et définissant un périmètre fictionnel, à la manière d’un rideau de théâtre que le spectateur est invité à franchir. Suivant l’heure à laquelle celui-ci visite « Bénin », son expérience sera marquée par la luminosité ou l’obscurité de l’espace. Comme dans le film Ministère, inspiré de la pratique d’Hippolyte Bayard[1], qui ouvre l’exposition et présente l’ensemble des objets que l’on y retrouvera ensuite, la scène évolue au rythme du soleil. L’unique autre source d’éclairage provient des objets eux-mêmes, l’artiste prenant ainsi le risque d’une disparition partielle de son exposition en fin de journée, mais offrant également au spectateur la possibilité d’expérimenter différents points de vue sur les œuvres présentées, dont celui toujours efficace du crépuscule. L’éclairage crépusculaire accentue en effet la bizarrerie de l’installation générale, dont la scénographie en drapés crée un décalage loufoque avec le passé industriel du lieu. Chaque œuvre renvoie aux autres dans un jeu de miroir perpétuel, la plupart jouant de leur reproductibilité pour accentuer leur facticité, d’autres, au contraire, catalysant l’ensemble du propos. Ainsi du buste de l’empereur Commode enferré dans des vitres dépolies qui rendent son appréhension impossible ou du silex taillé prisonnier d’un losange réfléchissant, déformant son image. Car c’est bien notre incapacité à saisir la totalité d’un objet qu’Aurélien Mole met en scène. Chaque élément démultiplie ses apparitions par différents procédés techniques qui sont autant de visages incomplets de lui-même : photographie argentique, numérique, impression par vidéoprojection, impression 3D, sculpture de savon… Certains objets sont des copies de copies, de modèles ou de prototypes, comme Idole, reprenant une tête cycladique fréquemment reproduite, ou Roobert, machine ratée du mouvement perpétuel, trouvée sur un tutoriel Youtube.

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Si le monde semble être un plateau sur lequel les objets incarnent les regards que nous projetons sur eux, ces apparitions ne sont néanmoins pas dénuées d’une forme de vie propre. Ainsi la mise à nu de l’échec de la technique à représenter le monde nourrit une forme d’animisme. Et la technique, fascinante non pour sa virtuosité mais pour sa capacité d’invention, de création, s’allie au fétichisme primaire, au désir contenu dans ces objets, malgré leur apparent manque de valeur.

Loin de simplifier la pratique d’Aurélien Mole en l’autonomisant, l’exposition affiche au contraire la complexité d’un travail habité par des obsessions et des paradoxes. Et s’ils sont ceux de son époque — le faux, l’authenticité, le paraître, le réseau de sens, la construction de savoir…  « Bénin » en démontre le caractère intemporel et fondamental. Convoquant les figures de l’inventeur et du copiste, Aurélien Mole en fait ici les paradigmes du visage de l’artiste, tournoyant indéfiniment entre création de novo et actualisation.

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[1] Hippolyte Bayard est un photographe et inventeur. Travaillant au ministère des finances, il employait le temps du déjeuner sur le toit de l’administration à disposer des statuettes en plâtre sur un fond noir face à une camera obscura, afin d’obtenir des images se détachant en blanc sur un papier noir de son invention.

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