Antoine Catala, Jardin synthétique à l’isolement

par Céline Poulin

Musée d’Art Contemporain de Lyon, du 17 avril au 12 juillet 2015

« Je dois dire quelque chose. J’ai quelque chose à dire[1]. » « Jardin synthétique à l’isolement » constitue, si ce n’est une étape, du moins un changement d’échelle dans la pratique d’Antoine Catala : à la fragmentation habituelle de ses installations se substitue un environnement total.

Vue de l'exposition d'Antoine Catala au MAC Lyon. Photo : Blaise Adilon.

Vue de l’exposition d’Antoine Catala au MAC Lyon. Photo : Blaise Adilon.

La figure du jardin synthétique est un territoire balisé dont l’œuvre d’Antoine Catala constitue une version techniquement impeccable, ce qui est d’importance quand on approche la création de paradis artificiels. Pour qui est sensible à l’imagerie SF, le « Jardin synthétique à l’isolement » réalise parfaitement ces représentations d’une nature domestiquée et anthropomorphe : une ambiance de bien-être émane de l’installation, plongée dans la pénombre. L’espace est accueillant, les visiteurs se laissent aller à s’asseoir contre un arbre ou à s’allonger sur la pelouse, éclairés par les lumières artificielles rouges et roses, baignés dans les odeurs reconstituées de l’humus et de la chlorophylle. De petites lumières blanches ponctuent l’espace, comme celles que l’on trouve dans les pavillons de banlieue. L’ensemble est familier et cinématographique, comme un paradis next door dont la facticité renvoie, par sa standardisation, à des souvenirs vécus ou rêvés. Peut-être aussi simplement parce que l’imagerie convoquée est ultra convenue.

Vue de l'exposition d'Antoine Catala au MAC Lyon. Photo : Blaise Adilon.

Vue de l’exposition d’Antoine Catala au MAC Lyon. Photo : Blaise Adilon.

En 2003, lors de la Biennale de Lyon, Piero Gilardi, avec son installation Inverosimile, présentait des vignes dansantes dont la technicité visait à réunir le public autour d’un rocher interactif dans un objectif de partage : la communion des spectateurs, nécessaire à la résolution du jeu, déclenchait le jaillissement jouissif d’un flux d’images numériques projetées au plafond. Cette nature artificielle incarnait le fantasme technologique du dépassement des antagonismes humains — antagonismes souvent envisagés comme le résultat d’une rupture originelle avec  la nature, utopie largement véhiculée par la littérature de science-fiction. L’installation d’Antoine Catala réactive ainsi un mythe New Age mais imprégné des actualités technologiques et transhumanistes qui en transforment aujourd’hui considérablement la perception. Passé l’émerveillement, et pour peu qu’on y prête attention, l’autorité scientifique et systémique sous-jacente à l’installation devient palpable à la lecture des pictogrammes et à l’écoute de la voix postiche du petit Matéo virtuel. C’est plutôt l’imagerie du manga Akira de Katsuhiro Ōtomo qui émerge alors, avec Tetsuo, Akira et les autres enfants mutants évoluant dans leur jardin sous cloche construit par le laboratoire de l’armée.

Vue de l'exposition d'Antoine Catala au MAC Lyon. Photo : Blaise Adilon.

Vue de l’exposition d’Antoine Catala au MAC Lyon. Photo : Blaise Adilon.

Le retour au jardin, surtout pour s’intéresser au langage comme le fait Antoine Catala, ne peut faire l’économie d’une référence à la Genèse : « Le Verbe, au début de l’humanité, était parmi les hommes. Adam et Eve pouvaient le toucher, lui parler. Vous connaissez l’histoire, ils durent quitter le jardin d’Éden, le jardin du Verbe. Celui qui parlait[2]. » La Bible apparaît d’ailleurs en bordure de l’installation, dans les pictogrammes repris par l’artiste et utilisés par les personnes non-verbales dans le logiciel leur permettant de « parler » : sachant qu’il s’agit d’un programme américain, le schéma d’un personnage jurant sur la Bible représente le mot « vrai ». Antoine Catala, par la référence à ce logiciel et à sa perception par des personnes autistes, nous renvoie à la tentative, vaine ou non, de la technologie humaine pour dépasser la dualité saussurienne inhérente au langage et retrouver le lien naturel des choses à leur expression verbale. Mais, à l’inverse du cratylisme d’un Charles Nodier, s’intéressant aux langues « autochtones » soi disant plus proches des objets réels, Antoine Catala définit les pictogrammes, dans le prolongement de son intérêt pour les émoticônes, comme des éléments d’un proto langage[3] de plus en plus utilisé aujourd’hui. « Je pense en images. Pour moi, les mots sont comme une seconde langue. » nous dit Temple Grandin, scientifique reconnue et activiste autiste, citée dans l’excellent texte de Mélissa Ragona[4], comme une incarnation de la propre compréhension de l’image de l’artiste. Car peu importe le lien naturel entre la chose même et le mot. C’est aujourd’hui l’image, avec tout le système culturel qui la produit, dans lequel elle s’inscrit et qu’elle véhicule, qui devient prototypique et, par là même, organique.

1 Extrait du texte d’Antoine Catala et Sarah Wang, récité par la voix synthétique diffusée dans l’installation.

2 temoins.com, Méditation spirituelle : « Et le Verbe s’est fait chair », décembre 2011, consulté le 31 mai 2015.

3 Cf. « Entretien avec l’artiste – mené par Florence Derieux », in catalogue Jardin synthétique à l’isolement, à paraître début juillet aux Editions Bernard Chauveau.

4 Temple Grandin, Penser en images et autres témoignages sur l’autisme, trad. de l’anglais par Virginie Schaefer, Paris, Odile Jacob, 1997, p. 19, cité par Melissa Ragona in « I See Catastrophes Ahead, L’image-objet dans l’œuvre d’Antoine Catala », in catalogue à paraître, op.cit.

 

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