D.C.A.

par Patrice Joly

Interview de l’Association française de développement des centres d’art contemporain

Réponses apportées par Sophie Kaplan, Coprésidente de d.c.a

Édition 2021 de Plein soleil, l’été des centres d’art contemporain, 01.06-30.09.2021

1. Cette édition 2021 de « Plein Soleil, l’été des centres d’art contemporain », signe le temps des retrouvailles, avec une première plateforme digitale qui permet à tous les publics de s’informer simplement et rapidement de l’offre artistique à proximité. Est-ce là l’objectif de cette édition 2021 : renouer le lien ?

Après de longs mois de fermeture, l’objectif de cette édition Plein Soleil 2021 est avant tout de retrouver nos publics sur la route des vacances, et de leur permettre de renouer avec l’art et les artistes partout en France. Même si nous avons poursuivi ces derniers mois, malgré nos murs fermés, de nombreuses actions de transmission –  en nous rendant dans les écoles notamment – c’est une vraie joie, un soulagement et une évidence retrouvés que soit possible à nouveau l’essentielle rencontre avec les œuvres « en chair et en os ». Depuis sa création en 2009, l’objectif de Plein Soleil est de rassembler et de faire rayonner l’ensemble des centres d’art du réseau autour de leurs programmations estivales. Plein Soleil permet à la fois de mettre en avant la diversité – de taille, de localisation, de programmation – des lieux qui composent d.c.a, mais aussi de souligner notre combustible commun : le soutien aux artistes et à la création. La plateforme numérique développée pour l’édition 2021,etedescentresdart.com, permet, en un clic, de trouver les expositions autour de soi. Dotée d’une carte interactive, elle délivre les informations essentielles : quoi voir, quand et comment y aller ; et nous réfléchissons actuellement à en développer l’usage au-delà de Plein Soleil. 

Vue de l’exposition Langages tissés, Isabel Carvalho, centre d’art Le Lait, 2021, photos Phœbé Meyer

2. Les centres d’art sont des lieux essentiels pour l’aide à la production et l’accompagnement d’artistes français, dont c’est parfois la première exposition personnelle, mais également d’artistes de renommée internationale. Quel impact la pandémie a-t-elle eu sur ces missions ? 

La pandémie et les fermetures de nos lieux qui en ont découlé ont évidemment ajourné de nombreux projets d’expositions. Cependant, la majorité d’entre elles a pu être déplacée, et, au final, il y a eu peu d’annulations. Avec les artistes internationaux, nous avons dû nous résoudre aux accrochages, voire aux résidences Zoom. Mais nous n’avons pas lâché les artistes. Par exemple, à Triangle – Astérides, centre d’art contemporain de Marseille, certaines résidences d’artistes étrangers ont ainsi été prolongées, leur offrant un soutien précieux face à des situations souvent précaires. De nombreux centres d’art ont mis en place des programmes de soutien spécifiques, adaptés aux besoins des artistes et à la situation. Ainsi, à Bétonsalon – Centre d’art et de recherche (Paris, 13e), Florian Fouché a utilisé l’espace fermé comme atelier pendant plusieurs semaines. Ce fut le cas également au Grand Café à Saint-Nazaire, dont le travail des artistes, Côme Clérino, Noémie Goudal et Adrien Vescovi a été présenté dans les vitrines du centre d’art. À La Criée (Rennes), plusieurs dispositifs de soutien – affichage public, résidences – ont été développés, avec une attention particulière portée aux artistes récemment diplômé·e·s, dont on sait qu’iels ont été spécialement impacté·e·s par la crise. Et ce ne sont là que quelques exemples.

3. Les derniers mouvements de direction au sein des centres d’art laissent croire à un exode de Paris vers les régions, à l’instar de Thomas Delamarre (ancien conservateur à la Fondation Cartier) en partance pour la Maison des Arts Georges et Claude Pompidou (Cajarc) en remplacement de Martine Michard, de Loïc Le Gall de 2019 (ancien curateur du Palais de Tokyo) pour Brest et la direction du centre d’art Passerelle, ou encore de Stanislas Colodiet (ancien conservateur du musée Fabre) au Cirva à Marseille. Les centres d’art en région sont-ils également devenus des tremplins pour la carrière des curateurs ou offrent-ils plus de liberté d’action et d’expression ?

On peut citer également l’arrivée de de la Canadienne d’Alexandra MacIntosh au CIAP de Vassivière, pour agrandir encore le périmètre de l’exode ! Même si cela n’a rien de nouveau – créés pour la plupart dans les années 1980-1991, les centres d’art contemporain ont déjà vu l’arrivée d’une nouvelle génération de directrices et directeurs dans le milieu des années 2000 – ces choix de curatrices et curateurs de prendre la direction de centres d’art tendent effectivement à prouver le potentiel de liberté d’action et d’expression de nos lieux. Ils prouvent aussi leur capacité à développer des programmations de grande qualité, qui rayonnent au-delà de leurs territoires. Les centres d’art sont de formidables espaces laboratoires, où il est facile d’inventer de nouveaux formats d’expositions, de résidences, de médiations, de recherches… De nouveaux formats tout court. Ils ont une souplesse que n’ont pas toutes les institutions. Ils permettent de vivre et de travailler l’art au plus près des artistes et des publics, avec lesquels se tissent souvent des relations dans la profondeur et la durée, ce qui est un autre point important.

Hélène Bertin, vue de l’exposition Tohu-Bohu, 2021, Le 19 Crac. ©A. Pichon / Le 19, Crac

4. Le départ de Marianne Lanavère du CIAP Vassivière pointe cependant certaines difficultés rencontrées à la direction des lieux, voire une certaine lassitude face aux demandes de plus en plus prégnantes des tutelles, les directrices et directeurs d’institutions étant considéré·e·s de plus en plus comme des « opérateur·ice·s culturelles » plutôt que comme des curateur·ice·s, qu’ils ou elles considèrent comme le cœur de leur métier. Pensez-vous que cette évolution, constatée par plusieurs d’entre elles et eux, amoindrit la dimension expérimentale qui fait tout l’intérêt de l’activité des centres d’art ?

Malheureusement, pour ma part, j’ai l’impression que le problème dépasse les seuls centres d’art et que c’est notre société entière qui a tendance à devenir une « opératrice de vie » plutôt que disons, tout simplement, un organisme vivant et pensant. Alors oui, il y a là une évolution inquiétante qui, à de nombreux endroits, privilégie les dispositifs formatés et autres recettes édulcorées, mais il y aussi, à d’autres endroits, des femmes et des hommes – curateur·ice·s, chargé·e·s de mission, chargé·e·s des publics, etc. – qui résistent, inventent des biais. Pour ne citer qu’un exemple, le compagnonnage mené par Céline Poulin et l’équipe du CAC Brétigny avec l’artiste Fanny Lallart, à travers les projets ELGER et The Poetry Inside of Me is Warm Like a Gun a permis de penser les formes de la rencontre avec le public à partir d’outils féministes, tout en interrogeant et repoussant les porosités entre création, vie et activisme.

5. Quels seront les points forts de l’édition 2021 ?

Difficile évidemment de faire un choix parmi la variété et la qualité des propositions en cours dans les quarante-neuf centres d’art du réseau ! On peut souligner plusieurs lignes de force qui se dégagent de cette édition : la place faite aux femmes avec, par exemple, les deux expositions monographiques d’Hélène Bertin et de Julie Chaffort au 19 (Montbéliard) ; les premières fois, à l’instar des expositions personnelles d’Achraf Toulouf à Passerelle (Brest) et d’Isabelle Carvalho au centre d’art Le Lait (Albi) ; des questions de société, pour beaucoup vécues et perçues à travers les corps, et qui se font l’écho de notre époque de crises : « Le corps en grève » à Bétonsalon (Paris), « Le pli du ventre cosmique » à image/imatge (Orthez), « Variables d’épanouissement » au CCC OD (Tours) ou encore l’exposition hors-les-murs « Party de campagne » à la Synagogue de Delme.

Lydia Ourahmane, Barzakh, vue d’exposition, Triangle -Astérides, centre d’art contemporain, Friche la Belle de Mai, Marseille, 2021. © Aurélien Mole.

Image en une : Exposition Le corps fait grève, Bétonsalon – Centre d’art et de recherche, 2021. Image © Margot Montigny