catalogue n° 1, 1968 (Olivier Mosset)

par Jean Charles Agboton-Jumeau

Jean Charles Agboton-Jumeau, octobre 2012

catalogue n° 1, 1968

0.0 Soit un opuscule d’Olivier Mosset intitulé Quest-ce que voir ? paru cette année même chez ENd éditions, domiciliées au Ban-Saint-Martin (57). C’est un entretien de l’artiste avec Alain Coulange (2007), à propos d’un « entretien imaginaire » du même Mosset avec Serge Bard paru en 1968 dans un catalogue intitulé catalogue n° 1[1].

0.1 Et soit cet extrait d’un autre entretien paru en 2003 dans un catalogue éponyme : Travaux/Works, p. 119-120 : « Ma pratique de peintre se poursuivait. J’ai reçu en 1968 les moyens de publier un catalogue (catalogue n° 1). J’ai imaginé une publication qui se passerait dexposition. Il s’agissait de cinq reproductions d’une même toile à cercle, préfacées par un texte de Serge Bard sous la forme d’un entretien imaginaire. Peu après, il y a eu les événements de mai 68. Si ces derniers m’ont profondément marqué, je n’ai toutefois pas cessé de peindre.[2] »

1.0 En 1968 donc, Olivier Mosset imagine une publication qui se passerait dexposition. Comment ? « J’ai rencontré une dame riche et je lui ai dit : « Si on a des moyens, il faut faire des choses ». « Des choses ? » a-t-elle répondu, « Oui mais quoi ? » Je lui ai dit : « Si j’avais les moyens, je ferais un catalogue. » Elle a dit : « Eh bien, vous n’avez qu’à le faire ».[3] »

1.1 « Il ne sagissait pas dune exposition mais dun catalogue ? » insiste l’interlocuteur. « Oui, un catalogue sans exposition », répond l’allocutaire.

1.1.1 Il poursuit : « Au moment où je peignais mes cercles, je connaissais peu l’art conceptuel ; j’avais dû voir des reproductions de pièces minimales dans des revues. En réalité, je m’intéressais surtout à Malevitch et à Mondrian […] En effet, je vivais à Paris. Nous avons fait ce catalogue n° 1 avant les événements de 68, en janvier-février. »

1.1.2 Autrement dit, et provisoirement du moins, la proposition suivante est invalidée : « Le tout premier catalogue à tenir lieu d’exposition date de 1968 et concerne Douglas Huebler. Intitulé November 1968, il est également publié par Siegelaub, à qui l’idée revient.[4] » Notons incidemment qu’un mois plus tard, le même Seth Siegelaub édite à New York, statements de Lawrence Weiner… « pour remplacer une exposition dans la galerie qu’il vient de fermer.[5] » Et que l’entretien – lui aussi imaginaire – de Lawrence Weiner avec Arthur Rose (alias Joseph Kosuth) n’intervient qu’en février 1969. Quoi qu’il en soit, soulignons que c’est précisément après la fermeture de la galerie J., ensuite occupée par BMPT du 5 au 25 décembre 1967, que vient à Mosset « l’idée du catalogue.[6] »

1.1.3 « Ce catalogue n° 1, Buren, Toroni et Parmentier lont-ils reçu ? » poursuit notre interlocuteur. Réponse : « Il en ont probablement pris connaissance mais nous n’en avons jamais parlé. Ce catalogue n’est pas daté assez précisément ; il mentionne « Paris, 1968 », ce qui induit des confusions.[7] » En effet. Non content de considérer à tort que la première exposition « soit disant conceptuelle » est « Konzeption-Conception » qui s’est tenue à Leverkusen[8], un Buren par exemple, ne semble d’autant plus se souvenir du catalogue n° 1 qu’à la question de Catherine Moseley en 2000 :

– « Pensiez-vous alors que le catalogue en tant qu’exposition était un gadget ? », l’ex-(vrai-faux ?) BM(P)T répond :

– « Absolument. Ce n’était qu’un geste ou une façon de se réclamer de cette tendance (qui s’est accentuée avec le temps).[9] »

Bref. En France comme à l’étranger, chez les artistes comme les historiens et autres critiques, notre catalogue n° 1 a fait l’objet d’une distraction ou d’une amnésie certaine. Du moins, et comme nous y incline fatalement le fameux cercle noir de Mosset, fait-il office de punctum cæcum, de point ou de tache aveugle au cœur du consensus historiographique de l’avant-garde des années 60-70. Jusqu’à ce jour du mois de février 2007 où Alain Coulange s’en souvient en compagnie de son auteur, attestant ainsi qu’en effet, The future is always going backwards. Dixit Robert Smithson, en 1969 aussi[10].

2.0 « Comment le catalogue n° 1 a-t-il été imaginé », reprend l’interlocuteur d’Olivier Mosset qui répond : « Il a été conçu à partir de la volonté de faire un catalogue. Nous avons avec Serge Bard discuté de la nécessité de disposer d’un texte. Serge a suggéré que nous réalisions un entretien ou quelque chose de ce genre. Pour ma part, à cette époque, j’avais une position un peu arrogante du type : « Je n’ai rien à dire. On peut me poser des questions, je ne répondrai pas. »[11] »

2.0.1 Autrement dit, ce quon ne peut pas dire il faut le taire, comme l’écrivait Wittgenstein. Ce qu’on ne peut pas dire il faut le faire, comme tous les grands artistes le font, dirais-je. Serait-ce vraiment si arrogant ?

2.1 Poursuivons donc l’énumération des occurrences du terme « catalogue » dans Quest-ce que voir ? « Réaliser un catalogue, le signer de son nom, touche à l’acte biographique, non ? […] Après la parution du catalogue [n° 1], je me suis rendu à Nanterre, ce qui m’a permis de suivre toutes ces péripéties avec Cohn-Bendit. La situation était particulière et plutôt intéressante.[12] » Une fois de plus, Olivier Mosset anticipe ici de quelques mois le relatif activisme politique des artistes d’Outre-Atlantique. Ce n’est qu’en janvier 1969, avec la constitution de l’Art Workers Coalition (AWC) notamment, que maints d’entre eux s’insurgeront aussi bien contre le mode de présentation ou même la censure de leurs œuvres (dans les musées), que contre la guerre du Vietnam[13].

2.2 L’enjeu de notre catalogue, c’est donc avant tout l’autonomie spatiale ou topographique de l’artiste, de sa production comme de sa diffusion. Les problématiques de l’art dit conceptuel comme art linguistique ou textuel, art à voir ou à lire, à réaliser ou à déréaliser (ou à dématérialiser), ou encore comme art de l’idée ou idée de l’art, procèdent de l’autonomie artistique plutôt qu’elles ne la conditionnent. C’est succomber à une illusion rétrospectiviste que de conclure à l’équivalence « catalogue = exposition », plus théorique, historiciste ou idéologique en réalité que pragmatique et matérielle voire matérialiste. Alain Jouffroy, précise donc Mosset, avait alors écrit dans Opus international qu’il avait cofondé en 1968 – qui l’eût cru – : « La meilleure exposition aujourd’hui à Paris, c’est un catalogue.[14] » À ma connaissance, January 5-31, 1969 notamment, n’a pas fait l’objet d’une appréciation équivalente. Et pour cause : le tout premier catalogue d’Olivier Mosset sacrifie moins à l’utopie de l’équivalence : /exposition = catalogue/, qu’à l’atopie de l’équation suivante : /art = (non) exposition et / ou (non) catalogue/.

2.3 Conclusion mais conclusion par provision. Même et surtout si la déclaration suivante figure déjà dans l’interview imaginaire du catalogue n° 1. Laquelle, pour avoir été jusqu’ici précisément non cachée non visible, a de fait conservé une fraîcheur qui contraste à souhait avec notre âge tout aussi frelaté que dit contemporain : « catalogue – je ne fais pas d’exposition (si on me le proposait, peut-être en ferais-je) mais j’ai pensé qu’il serait aussi intéressant de faire un catalogue sans exposition. cela fait de partie de mon activité de peintre, mais c’est sans doute aussi un acte autobiographique, puisque ce catalogue contient des reproductions, un entretien, des renseignements autobiographiques, mais qu’il ne contient et n’est pas une toile. » Et qu’autrement dit, il n’objecte rien à la pratique picturale.

2.3.1 […] « a priori cette peinture n’a aucune raison d’intéresser quelqu’un, ni plus ni moins qu’autre chose. cela me paraît une raison suffisante de lui faire un catalogue. quant à l’entretien, il m’a semblé qu’il pouvait contenir quelques mises au point dans mes rapports avec cette peinture. je crois que c’est tout ce que j’ai à dire.[15] » Ou si l’on préfère, je crois que c’est tout ce que le catalogue n° 1 veut faire.

2.3.2 catalogue n° 1 – autrement dit, par-delà autant qu’en deçà de la Beat Generation, l’équanimité présente et passée du travail d’Olivier Mosset – fût-il apparemment versatile – ne demeure-t-elle pas, pour demain encore, l’autre face de l’utopie ?

3.0 Imaginer une publication qui se passerait dexposition, puis faire un catalogue sans exposition, cela fait partie de l’activité du peintre au même titre qu’en effet, sans être de la peinture, l’exposition d’un tableau ou sa reproduction dans un catalogue ou dans un magazine, font partie intégrante du procès pictural. Raison pour laquelle – répétons-le avec le peintre en personne –, cette peinture n’avait aucune raison dintéresser quelquun, ni plus ni moins quautre chose ; cela paraissait alors une raison suffisante de lui faire un catalogue. Mais Olivier Mosset ne semble pas le penser de sa seule peinture puisque, dit-il, « peindre équivaut en fait à porter un regard sur les choses.[16] » De sorte qu’en effet, « s’intéresser à ce qui n’est pas de l’art est aussi une façon de parler d’art […] Qui plus est, les travaux de nature artistique engagent aussi un dialogue avec des sujets qui ne sont pas de l’art à proprement parler (l’architecture, le design, les medias)[17] » ; ergo : peindre c’est toujours à la fois, et peindre (tel tableau par exemple) et non-peindre (ou réaliser tel catalogue ou telle exposition par exemple). C’est ainsi notamment que notre peintre aura été le commissaire d’une exposition significativement intitulée : « Before the End (The Last Painting Show) » ; elle rassemblait précisément des tableaux d’artistes conceptuels réalisés entre 1964 et 1967, soit à la veille de leur renonciation (plus ou moins définitive) à la peinture[18].

3.1 Inversement, invité à participer à l’exposition collective « January 5-31, 2009 »[19] qui commémorait les quarante ans du « January Show » de Seth Siegelaub, il aura paru au peintre raison suffisante de publier – dans le catalogue de « January 5-31, 2009 » précisément – quatre vues générales en noir et blanc dûment légendées de la version new-yorkaise de l’exposition « Before the End ». C’est-à-dire, en somme, des tableaux qui, une fois de plus, n’avaient de raison d’être exposés, ni plus ni moins dans un centre d’art et / ou d’être, cinq ans plus tard, reproduits dans un catalogue faisant expressément et exclusivement office… d’exposition.

3.2 À la toute fin d’un catalogue qui n’a aucun rapport direct avec notre catalogue n° 1, Olivier Mosset observait cependant ceci : « Newman prétendait que l’on peignait contre le catalogue. Quant à moi, je pense que l’on peint contre le fait de ne pas pouvoir peindre. Si Giacometti n’arrivait pas à représenter, moi je n’arrive peut-être plus à appliquer de la couleur sur de la toile. Pourtant, je continue à peindre et mes toiles sont ce qu’elles sont. Pourquoi alors faire le malin en pensant qu’elles ne sont pas ce qu’elles devraient être ? Elles le sont certainement.[20] »

3.2.1 catalogue n° 1 n’aura donc été publié, ni contre telle ou telle peinture, ni contre tels catalogue ou exposition. C’est qu’on ne peint jamais – à même tel ou tel support – que contre la peinture en soi. Autrement dit, contre le fait qu’elle demeure nolens volens, toujours et partout susceptible d’être (dé)peinte voire non-peinte, c’est-à-dire imaginée, lexicalisée, photographiée, imprimée et / ou encore recopiée… ad libitum : Cosa mentale disait donc l’autre. En quoi tout tableau – en particulier – est a fortiori punctum cæcum de toute peinture – en général.

[1] L’opuscule en question est consécutif à une première parution dans Particules, n° 29, 2010 : http://fr.calameo.com/read/00000469783284199d961

[2] Cat. exp. Olivier Mosset, Travaux/Works, 1966-2003, Lausanne, Musée cantonal des Beaux-Arts / St. Gallen, Kunstverein, St. Gallen Kunstmuseum, 22 mai-10 août 2003 (nous soulignons).

[3] Olivier Mosset, Qu’est-ce que voir ?, op. cit., ENd éditions, Le Ban-Saint-Martin, 2012, p. 6-7.

[4] Anne Mœglin-Delcroix, Esthétique du livre d’artiste, Une introduction à l’art contemporain (nouvelle édition revue et augmentée), Marseille / Paris, Le mot et le reste / BNF, 2012, p. 156, note 1 (nous soulignons) ; notons que Mosset ne figure nulle part dans l’index de cet ouvrage, pas plus que dans : Alexander Alberro, Conceptual Art and the Politics of Publicity, Cambridge, MA / London, MIT Press, 2003.

[5] Ibid., p. 156.

[6] Qu’est-ce que voir ?, op. cit., p. 14 ; cat. exp. Olivier Mosset, op. cit., p. 119.

[7] Qu’est-ce que voir ?, op. cit., p. 13.

[8] Cette exposition s’est tenue en octobre 1969, soit bien après le « January Show » de S. Siegelaub par exemple ; Cf. cat. exp. Conception. Conceptual documents 1968 to 1972 (ed. Catherine Moseley), Norwich / Leeds / Vancouver, Norwich School of Art / City Museum and Art Gallery and Henry Moore Institute Library / Morris and Helen Belkin Art Gallery, University of British Columbia, 2001, p. 115.

[9] « So did you think that the catalogue as exhibition was a gimmick ? / « DB : Absolutely. It was just a gesture, or a way to show that tendency (which has been accentuated with time) » ; cat. exp. Conception. Conceptual documents 1968 to 1072, op. cit., p. 115.

[10] On comprend mutatis mutandis, dès lors, qu’un Siegelaub puisse, en octobre 2008 encore, s’insurger : « that was my criticism of [Benjamin] Buchloh’s text in connection with the Paris show on Conceptual art [1989] two decades ago – that history had been evacuated from it. Maybe this continues today, in a way that explains the lack of attention given to Iraq in the art world. In any case, it is shocking that Buchloh didn’t mention Vietnam, even as a footnote, and that he kept exclusively to New York, being very partial but with a pretence at being universal. » (nous soulignons) « Seth Siegelaub in conversation with Jo Melvin », From Conceptualism to Feminism, Lucy Lippard’s Numbers Show 1969-74 (ed. Cornelia Butler & alii), London, Afterall Books, 2012, p. 251. https://www.afterall.org/online/8339

[11] Qu’est-ce que voir ?, op. cit., p. 10.

[12] Ibid., p. 10-11.

[13] « Takis was unhappy with the way it was represented in the exhibition. He and his supporters felt that the artist should have autonomy over the work’s presentation. The event became a focal point for artists having a say over their work was shown, and led to MoMA’s acceptance of the AWC’s demand that artist should be represented on the board of trustees. » From Conceptualism to Feminism, op. cit., p. 261 ; c’est également à cette occasion que L. Lippard et S. Siegelaub se rencontrent et conjuguent, à leur tour, l’art à la vie. op. cit., p. 72.

[14] Qu’est-ce que voir ?, op. cit., p. 14.

[15] Ibid., p. 36.

[16] Cat. exp. Olivier Mosset, Travaux/Works, op. cit., p. 124.

[17] Ibid., p.123.

[18] « Before the end (Part II) », Le Consortium, Dijon (23 mars-19 juin 2004) et « Before the End (The Last Painting Show) », The Swiss Institute – Contemporary Art, New York (14 septembre-23 octobre 2004) ; « The idea behind this exhibition is to show the last paintings of conceptual artists, who often, before becoming conceptual artists, were abstract painters with works often minimal, sometimes monochromatic », dixit Mosset. L’exposition comportait des œuvres d’Art & Language, Michael Asher, Robert Barry, Ian Burn, Jan Dibbets, Douglas Huebler, Joseph Kosuth, Lawrence Weiner et Ian Wilson (http://www.swissinstitute.net/2001-2006/Exhibitions/2004_before/before_inst.htm). Cette renonciation plus ou moins définitive à la peinture concerne notamment Art & Language, collectif d’autant plus radical qu’il devait se prévaloir sans vergogne d’un come back aussi pictural (que caricatural) au Jeu de Paume en 1994 : http://www.tobeart.com/Collectifs/Art&Langage-JdP93.htm (entre autres).

[19] January 5-31, 2009 (ed. Jean-Charles Agboton-Jumeau), Cherbourg-Octeville, École supérieure des beaux-arts, 2009, Cf. http://issuu.com/jcajcriticavit/docs/january5312009?mode=window&backgroundColor=%23222222

[20] Cat. exp. Olivier Mosset, Travaux/Works, op. cit., p. 124.

Postface (de circonstance) au catalogue n° 1, 1968

L’article qui précède et porte sur le très modeste catalogue n° 1 d’Olivier Mosset, atteste à sa manière qu’en effet, Mai 68 n’a pas eu lieu (d’après le titre d’un texte de Gilles Deleuze et Félix Guattari paru en 1984)1.

Par l’exposition (confidentielle) dont il est issu, ainsi que par sa date de publication (2013)2, cet article ne s’inscrit pas dans le sillage des commémorations de Mai 68 plus ou moins nécrologiques du moment. Mais comme il est ici publié en cette année du cinquantenaire, il nous rappelle à sa manière qu’en effet, dans les révolutions, « il y a toujours une part d’événement, irréductible aux déterminismes sociaux, aux séries causales » ou aux séquences généalogiques et chronologiques dont dépendent les notions de filiation et d’influence en histoire de l’art. Car, comme le duo susmentionné l’indique, « l’événement lui-même est en décrochage ou en rupture avec les causalités : c’est une bifurcation, une déviation par rapport aux lois, un état instable qui ouvre un nouveau champ de possible. »

L’article montre en effet qu’assez peu informé de l’art dit conceptuel, Mosset publie néanmoins catalogue n° 1 en 1968. Celui-ci n’est pas seulement le premier catalogue de l’artiste ; c’est aussi le premier catalogue – jusqu’à nouvel ordre du moins – indépendant de toute exposition. Comme tel, il s’affranchit également de tout lieu (d’exposition). Or, l’élaboration d’un catalogue qui se confonde avec une exposition intervient – également mais parallèlement – outre-Atlantique quelques mois plus tard. Car si le catalogue autotélique vient à l’idée d’un peintre (suisse) en Europe, il vient simultanément – ou presque – à l’idée d’artistes américains qui ont inversement renoncé à peindre. Si bien que, et contrairement à l’approche diachronique qui caractérise la vulgate de l’histoire de l’art, c’est paradoxalement moins d’une idée que de contraintes économiques ou matérielles que procèdent, et l’art dit conceptuel ou dématérialisé, et l’activisme pictographique d’alors de l’ex-membre de BMPT.

catalogue n° 1 constitue donc bien, comme tel, une bifurcation im(pré)visible ou intempestive. Parallèlement aux événements de 68, il fait d’autant plus événement qu’il est à la fois chronologiquement antérieur aux premiers catalogues autotéliques, et historiographiquement postérieur à son éclipse ou à son oubli (par les historiens de l’art et autres homologues de l’artiste pendant près d’une cinquantaine d’années)… Et sans doute est-ce aussi à l’insu de la plupart des soixante-huitards et de la scène artistique new-yorkaise que cet événement artistique a eu lieu ; même et surtout si, dans une modeste recension publiée en avril 1968 dans le n° 6 de la revue Opus International (p. 94), Alain Jouffoy avait d’emblée décrété : « La plus importante exposition de peinture qui a eu lieu à Paris ces derniers temps se résume à un catalogue de format carré. »

Quoi qu’il en soit, puisse ce catalogue n° 1 – par-delà les obsèques cinquantenaires de Mai 68, lesquelles ont en effet commencé dès 1968 comme le donne à voir le film inachevé La reprise du travail aux usines Wonder3 par exemple – continuer d’exhaler le parfum de ce brin de muguet qui demeure malgré tout en perpétuelle instance d’éclore.

1 https://heterotopie.wordpress.com/2007/10/21/mai-68-na-pas-eu-lieu/

2 Cat. exp. Beat Generation #5, Olivier Mosset (A. Rolla, L. Ucciani ed.), Besançon, Centre d’art mobile éditions, 2013. [Je remercie le Centre d’art mobile d’avoir autorisé la réimpression de cet article qui a subi pour l’occasion de légères modifications.]

3 https://vimeo.com/276078088

(Toutes les images : Olivier Mosset, catalogue n° 1, Paris, 1968.)

  • Publié dans le numéro : 87
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