Réouverture du CAC Brétigny

par Patrice Joly

Le centre d’art contemporain de Brétigny (CAC) a connu de grandes heures de débats animés et conviviaux avec les rendez-vous du Capitaine Pip (discussions à bâtons rompus autour d’acteurs incontournables du monde de l’art), commis des excroissances architecturales comme celle de la « cabane » de Van Lieshout, accueilli des expositions marquantes comme celle de David Lamelas, avant de suspendre ses activités pour des raisons qui restent pour le moins discutées… Mais la bonne nouvelle est que le centre réouvre ses portes dans des conditions pour le moins satisfaisantes avec une nouvelle équipe et une nouvelle directrice, Céline Poulin. Les défis qui attendent le centre d’art et sa nouvelle direction sont de plusieurs ordres : remettre dans le circuit des centres d’art une structure mise en hibernation pendant un petit moment et donc déjà faire savoir cette nouvelle donne, ensuite proposer une programmation qui satisfasse aux enjeux d’un centre d’art en périphérie, c’est-à-dire un peu éloigné des foules de la capitale qui se pressent massivement aux portes des Palais de Tokyo et autres musée de la capitale lorsque ces derniers font événement. Il semble cependant que les orientations de la programmation qui débutera le 19 novembre avec l’ouverture de l’exposition « JUMP » s’inscrivent dans la continuité d’un lieu qui a su faire la part belle aux expérimentations artistiques de tous ordres.

 

Patrice Joly : Alors que des centres d’art ferment en région et que des structures en proche périphérie parisienne rencontrent de sévères difficultés (cf. la situation de Khiasma aux Lilas), la réouverture du CAC Brétigny sonne comme une bonne nouvelle : dans quelles conditions s’est-elle opérée : le centre a-t-il subi des coupes ou bien a-t-il pu conserver l’intégralité de ses budgets de fonctionnement et de production ?

Céline Poulin : Oui, c’est vraiment une bonne nouvelle pour le monde de l’art comme pour le territoire du centre d’art que le CAC reprenne et cela montre qu’il y a des endroits où l’art reçoit un véritable soutien politique. L’aire dans laquelle évolue le CAC est à mi-chemin entre l’urbain et le rural et l’offre en art contemporain est très limitée. Il était donc essentiel que le lieu ré-ouvre et ce dans des conditions optimales. D’une part une réouverture a un coût non-négligeable, d’autre part, c’était impératif d’avoir de véritables moyens de travailler pour poursuivre au niveau des projets développés par Pierre Bal-Blanc et avant lui, Xavier Franceschi. L’engagement de l’agglomération Cœur d’Essonne dans ce projet est très fort, comme le montre effectivement leur investissement budgétaire en 2016 : nous bénéficions  d’un budget de fonctionnement total et non proratisé en fonction des mois d’activité et nous avons également pu effectuer un gros travail de réaménagement et d’actualisation de la structure (lumières, murs, fibre optique…) et de restauration des œuvres historiques produites par l’Atelier Van Lieshout sous la direction de Xavier Franceschi… Le soutien des tutelles est également fort, du côté de l’Etat comme du département et de la Région, la plupart ayant maintenu les budgets annuels sans prorata. Une équipe de trois personnes formidables a été recrutée. Ce sont donc de très bonnes conditions. On se réjouit !

Aleksandra Domanovic, Votive: Partridge (détail). Courtesy Aleksandra Domanovic ; Tanya Leighton.

Aleksandra Domanovic, Votive: Partridge (détail). Courtesy Aleksandra Domanovic ; Tanya Leighton.

Un lieu un peu éloigné de la capitale et de ses gros contingents de visiteurs signifie une approche différente en matière de rapport au(x) public(s), de communication, etc. Comment entendez-vous remédier à ce qui peut s’apparenter à un handicap au niveau de la fréquentation : peut-être en vous consacrant délibérément au public local et en n’étant plus obsédé par cette question de l’éloignement (tout relatif par ailleurs) ?

Le CAC Brétigny a inscrit historiquement un rapport spécifique à son territoire proche et élargi. On se souvient encore des soirées du Capitaine Pip ! Et Pierre Bal-Blanc avait mis en place dans sa programmation toute une réflexion, portée par des performances, des expositions, autour de la place du public. Cette histoire avec le territoire est inscrite à l’origine du lieu, dans la philosophie de l’ancêtre du CAC : l’espace Gérard Philippe. Je m’inscris complètement dans cette réflexion autour de l’usage du lieu : qu’est-ce qu’on y fait, pourquoi et quand on y vient ? Le projet que je porte pense des moments spécifiques de rendez-vous faits de rencontres, de workshops, de journées d’étude etc. Aujourd’hui, il faut retracer, retrouver le chemin jusqu’au CAC. Et je crois que cela passe beaucoup par le partenariat et par la conversation. Avec le théâtre déjà, avec qui nous coréalisons un projet sur l’année, avec le Mac Val, Paris 8, l’UQAM, la Villa Vassilieff, la médiathèque de Saint-Michel-sur-Orge pour ne citer qu’eux. Je dis souvent en paraphrasant Platon que si un tel est à A et qu’il veut que tel autre qui est à B s’intéresse à son A, il faut qu’il mette un peu de B dans son A. Et puis j’aime vraiment beaucoup penser des projets en dehors des espaces dédiés. Le rôle d’un centre d’art n’est pas uniquement d’amener le public « dans ses murs ». Le projet artistique se développe de façon polymorphe, sur le site internet, dans l’espace public, chez les partenaires… La communication est évidemment centrale car c’est la première adresse, la première forme d’existence du projet. Pour nous c’est un véritable espace de recherche qui a été confié à Coline Sunier & Charles Mazé.

Aleksandra Domanovic, Votive, 2016.

Aleksandra Domanovic, Votive, 2016.

En ce qui concerne la programmation, quelles seront les grandes lignes, les orientations majeures ? Quelles seront les spécificités du CAC par rapport à d’autres centres d’art présentant des situations identiques de localisation comme La Ferme du Buisson, la Galerie à Noisy, etc. ?

L’orientation majeure c’est de faire du CAC un lieu de vie pour les artistes et tous autres usagers de l’espace. La programmation fonctionne autour d’un thème annuel, mais plutôt au sens de thème musical, un fil directeur qui forme un motif, qui mute d’une exposition à une autre, qui permet d’être dans la recherche. La résidence de Coline Sunier & Charles Mazé incarne bien le projet, car ils vont sans cesse interroger l’identité du CAC, tout en la construisant mais de manière polyphonique, et questionner l’usage des outils qu’ils vont produire. Je m’intéresse particulièrement aux pratiques de co-création et aux artistes qui travaillent en dialogue avec d’autres champs, dont le vocabulaire appartient à d’autres codes. L’exposition de février s’intitule « Vocales » et c’est le fruit d’une recherche autour des pratiques de co-création que je mène avec Marie Preston depuis plusieurs années, accompagnée par Stéphanie Airaud, et en discussion avec plusieurs personnes, comme Virginie Bobin, Émilie Villez, Marie Fraser ou Mathilde Villeneuve. Il y aura par exemple une nouvelle pièce de Christian Nyampeta, un artiste que j’ai découvert grâce au formidable travail de Katia Schneller et Simone Frangi à Grenoble. Et pour la première fois en France une performance de Devora Neumark ! Le premier solo show sera l’occasion pour certains de découvrir le travail de Liz Magic Laser et de participer à un workshop thérapeutique autour de notre rapport aux personnages politiques.

Pouvez-vous nous parler de l’exposition d’ouverture ?

« JUMP » c’est une exposition dans les locaux du CAC et sur son site internet. C’est aussi un événement inaugural dans ces deux espaces. C’est le saut dans le nouveau projet, mais tout en s’interrogeant sur la nature de cet endroit et des éléments qui l’habitent. C’est aussi une forme de manifeste… « JUMP » c’est au départ un dispositif pensé par Jean-Pascal Flavien, dont nous avions expérimenté une forme à Berlin en 2015 et que nous avons redéployé ici. Le dispositif que Flavien a pensé et que j’ai mis en œuvre est vraiment habité par les artistes invités à chaque fois pour des projets pensés pour l’exposition (on est très contents de produire une nouvelle pièce somptueuse d’Aleksandra Domanović !). Le dispositif comme les artistes invités posent la question du (bon) sens, de l’incompréhension… Comme l’a écrit Flavien dans le statement : « Ce qui est important […] ce sont les passages d’un espace à l’autre espace / Ces passages (jumps) sont des translations, des traductions, des déplacements / Les passages sont sémantiques et formels. Ici c’est parfois la même chose  /  Il y a toujours des pertes, formelles et sémantiques lors de ce passage (Information perdue)./ Loi : Plus la traduction ou translation est mauvaise (plus de perte d’information), plus le passage est sensible, et le nouvel espace apparait tel qu’il est. »

 

Jean-Pascal Flavien, Maquette de la Statement House, 2014. Courtesy Galerie Catherine Bastide, Bruxelles. Photo : Isabelle Arthuis.

Jean-Pascal Flavien, Maquette de la Statement House, 2014. Courtesy Galerie Catherine Bastide, Bruxelles. Photo : Isabelle Arthuis.


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