Prix Ricard : Camille Blatrix

par Alexandrine Dhainaut

Succédant à Lili Reynaud-Dewar, Camille Blatrix remporte le seizième Prix de la Fondation Ricard, face à Marie Angeletti, Jean-Alain Corre, Audrey Cottin, Hendrik Hegray et Mélanie Matranga, tous réunis en septembre dernier dans « L’Époque, les humeurs, les valeurs, l’attention » exposition collective concoctée par castillo/corrales. À cette occasion, l’artiste lauréat (né en 1984, ancien étudiant de l’ENSBA de Paris et représenté par la galerie Balice Hertling), présentait deux sculptures, Je veux passer le reste de ma vie avec toi et Still’elle, sculptures métalliques énigmatiques qui se déployaient distraitement et discrètement dans l’espace de la Fondation Ricard.

Camille Blatrix, Je veux passer le reste de ma vie avec toi, 2014. Aluminium, bois, argent, verre, vidéo, bande sonore. 40 × 88 cm. Collaboration avec Prison Food Sucks pour le morceau « Wish You A Good Day See You For The Holiday » - Courtesy Balice Hertling, Paris.

Camille Blatrix, Je veux passer le reste de ma vie avec toi, 2014. Aluminium, bois, argent, verre, vidéo, bande sonore. 40 × 88 cm. Collaboration avec Prison Food Sucks pour le morceau « Wish You A Good Day See You For The Holiday » – Courtesy Balice Hertling, Paris.

Il est peu dire que le travail de Camille Blatrix présente une forte dimension narrative. Par l’assemblage d’abord, d’objets aux qualités anthropomorphes et de matériaux hétéroclites (métal, bois, céramique) qui forment des sculptures lacunaires dont il faudrait combler les manques pour recoller le scénario. L’univers est à la fois surréaliste (on pense évidemment aux montres molles de Dali dans Je veux passer le reste de ma vie avec toi, ironie d’un interphone coulant qui a manifestement des envies de faire le mur), voire cartoonesque avec ces petits visages sympathiques, ou encore ces volutes utilisées en bandes dessinées pour signifier le brassage de l’air après un mouvement (La Fuite d’Alison), à qui il donne une existence tout à fait physique (Victor : Il suo cuore vuoto al completo). Par leur format et leur déploiement ensuite. Le monde miniature que construit Blatrix joue avec un spectateur trop souvent habitué aux accrochages à hauteur d’yeux et prend le parti de ne pas se donner immédiatement : à la fondation Ricard, le porte-lettres en aluminium, Still’elle, était placé d’une manière précise et suffisamment discrète pour risquer de passer inaperçu. L’espace d’exposition est un adjuvant narratif pour Blatrix, un terrain de fiction que les œuvres activent par leur disposition et à l’intérieur duquel une mini-main métallique peut très bien jouer les passe-murailles du bout du doigt et ouvrir les cimaises vers un autre monde, ou un livre ouvert vouloir voler de ses propres ailes. Les sculptures de Blatrix ont des envies d’ailleurs, elles sont sur le point de. L’artiste ne les présente d’ailleurs jamais sur des socles, mais directement encastrées dans les murs, comme en lévitation. On se délecte alors du jeu de hors-cadre, de leur évolution dans les angles et les marges.

Il y a dans cette pratique, un vrai plaisir à fabriquer des objets. Camille Blatrix maîtrise aussi bien la marqueterie que l’orfèvrerie, réalisant lui-même tous les éléments de ces sculptures. Ces objets mystères, aux lignes complexes, entre formes aériennes/liquides et solides, et à la finition parfaite, participent d’un vocabulaire formel stylisé et humoristique, extrêmement singulier, qui intègrera donc les collections permanentes du Centre Pompidou.


Créé en 1999, le Prix Fondation d’entreprise Ricard a été le premier prix  à récompenser les talents émergents de la jeune scène artistique contemporaine.

Il récompense chaque année un artiste présenté dans le cadre d’une exposition confiée à un commissaire indépendant. Le Prix est décerné par un jury de critiques d’art et de collectionneurs (amis du Centre Pompidou, du Palais de Tokyo, du Jeu de Paume…).

Sa singularité : l’achat d’une œuvre du lauréat destinée à figurer parmi les collections permanentes du Centre Pompidou.

Aujourd’hui, la Fondation d’entreprise Ricard a décidé  de franchir une nouvelle étape en offrant en plus au lauréat la possibilité de réaliser à l’étranger un projet personnel (vidéo, performance, installation, etc.).


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