Ariane Michel, La Rhétorique des marées vol.2

par Lilian Froger

La Criée, Rennes, du 18 mars au 22 mai 2016

Avec l’exposition collective « La Rhétorique des marées » organisée l’été dernier au Cap Sizun, dans le Finistère, Ariane Michel formulait sa première proposition en tant qu’artiste associée à La Criée pour la programmation de la saison 2015-2016 du centre d’art. Les œuvres d’une vingtaine d’artistes prenaient place sur le littoral, certaines sur le chemin côtier, d’autres parmi les rochers ou sur la plage. Rien de monumental ni de spectaculaire, les interventions sur le paysage étaient modestes, discrètes (des galets déplacés, une ligne peinte en blanc sur les rochers, un fauteuil placé vers la mer) et certaines n’ont laissé aucune trace sur celui-ci.

À La Criée cette fois, Ariane Michel en propose une actualisation : elle y montre un film, lui aussi intitulé La Rhétorique des marées, à partir d’images tournées dès le montage de l’exposition au Cap Sizun, pendant l’exposition, et jusqu’à l’entrée de l’hiver. À partir de dizaines d’heures de rushes, l’artiste a abouti à un montage d’1h15, condensant ce qui s’est produit au bord de la mer selon un scénario qui ne tient pas compte de la chronologie réelle des divers épisodes. Elle a plutôt choisi de reconstituer à l’écran une journée complète, de l’aube au crépuscule. On observe donc le lever du jour et les rochers qui s’éclairent, puis les artistes de l’exposition qui s’affairent à la production ou à l’installation de leurs œuvres sur le littoral. La journée se déroule ainsi doucement, rythmée par le mouvement des vagues et l’alternance entre marées basse et haute, jusqu’à la tombée de la nuit qui marque la fin du film.

Vue de l’exposition d’Ariane Michel, La Rhétorique des marées – Vol.2, à La Criée centre d’art contemporain, Rennes. Photo : Benoît Mauras. Courtesy de l’artiste ; Jousse Entreprise, Paris

Vue de l’exposition d’Ariane Michel, La Rhétorique des marées – Vol.2, à La Criée centre d’art contemporain, Rennes. Photo : Benoît Mauras. Courtesy de l’artiste ; Jousse Entreprise, Paris

Celui-ci est diffusé sur trois grands panneaux dressés au centre de la pièce principale. Trois écrans pour trois séquences projetées simultanément. Cet écran en triptyque donne lieu à une triple projection en continu, sans hiérarchie entre les images : on comprend rapidement que le panneau central n’est pas l’écran principal, que les scènes montrées sur les panneaux latéraux ne sont ni secondaires ni périphériques, et qu’on peut regarder le (ou les) écran(s) que l’on souhaite sans que cela n’entrave la compréhension globale des éléments projetés. Le spectateur est comme immergé dans ce triple écran de grandes dimensions dont l’appréhension est ouverte et non autoritaire. Choisissant l’ordre des écrans qu’il visionne, le visiteur termine en quelque sorte le travail de montage du film, par les connexions personnelles qu’il établit entre les images.

Autour des écrans, aux murs et dans la salle attenante, sont disposées certaines des œuvres exposées au Cap Sizun, dans l’état où elles ont été retrouvées à la fin de l’exposition en septembre. Pied-à-terre, la cabine de plage en bois de Pascal Rivet, est présentée démontée, patinée par la pluie et les embruns ; le mât de La Vigie d’Abraham Poincheval est couché sur le sol ; deux filets de l’œuvre de Florence Doléac sont posés sur une table ; la figure stylisée Le Keeque (after H.C Westermann)-suite de Jacques Julien est accrochée au mur, dessoudée et rouillée par l’eau de mer. Exposées dans le centre d’art et non plus en extérieur, ces œuvres sont comme des traces, des restes de l’exposition estivale du Cap Sizun qui continue de vivre ici. Elles attestent de l’existence de cette exposition passée, tout comme le film d’Ariane Michel retranscrit ces expérimentations sur le littoral. Cette retranscription n’est cependant pas improvisée, comme prise sur le vif, puisque le récit proposé dans le film est entièrement construit. Les actions et gestes filmés par la caméra ont bien eu lieu, mais ils ont été patiemment répétés, définis à l’avance selon un scénario, puis travaillés à nouveau lors du montage. De même, quand les artistes apparaissent à l’écran, tous portent une veste bleue de travail, comme celles accrochées à l’entrée de l’exposition. Celles-ci font office de costume afin de transformer les artistes en acteurs, jouant leur propre rôle à l’écran.

Vue de l’exposition d’Ariane Michel, La Rhétorique des marées – Vol.2 avec les œuvres de Ellie Ga, Jean-Luc Verna et Virginie Barré, à La Criée centre d’art contemporain, Rennes. Photo : Benoît Mauras © tous droits réservés

Vue de l’exposition d’Ariane Michel, La Rhétorique des marées – Vol.2 avec les œuvres de Ellie Ga, Jean-Luc Verna et Virginie Barré, à La Criée centre d’art contemporain, Rennes. Photo : Benoît Mauras
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Le film s’attarde peu sur les œuvres, pour insister davantage sur les actions réalisées par les artistes. Michel Blazy est ainsi filmé alors qu’il déterre des petits sédums plantés dans le sable, Hugues Reip prépare son jardin artificiel en retirant les algues d’une flaque d’eau parmi les rochers, et Virginie Barré remplit de sable ses sculptures pour Les Formes maritimes. La nature y est continuellement présente, par le biais des végétaux du littoral (herbes hautes, algues), des animaux (coquillages, insectes, oiseaux), de la côte rocheuse, du bleu du ciel qui surplombe chaque scène, et de l’océan. Ariane Michel reconstitue une écologie de gestes artistiques simples, presque élémentaires, qui font écho à l’environnement dans lequel les artistes sont filmés. En cela, « La Rhétorique des marées » rappelle le documentaire animalier, à la fois de l’ordre du véridique mais pourtant scénarisé afin de captiver l’intérêt du spectateur. L’artiste reprend d’ailleurs certains codes du film animalier : les gros plans (sur les puces des sables et les abeilles, mais aussi sur les œuvres), le fait de filmer sous l’eau ou à hauteur du sol, la présence parfois d’obstacles au premier plan (rochers, herbes hautes), de filmer à l’aube et au crépuscule, soit des moments où la lumière n’est pas la meilleure mais où les animaux sortent de leurs cachettes. Elle adopte ainsi la posture de l’artiste en éthologue, à la lisière du documentaire et de la fiction. Agissant de la sorte, elle propose, par l’image, non seulement une rhétorique des marées, mais surtout une véritable poétique du documentaire.

Vue de l’exposition d’Ariane Michel, La Rhétorique des marées – Vol.2 avec l'œuvre de Michel Blazy, à La Criée centre d’art contemporain, Rennes. Photo : Benoît Mauras © tous droits réservés

Vue de l’exposition d’Ariane Michel, La Rhétorique des marées – Vol.2 avec l’œuvre de Michel Blazy, à La Criée centre d’art contemporain, Rennes. Photo : Benoît Mauras
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